Aude PLOZNER BRUDER « Les Quichottes de Cervantès et d’Avellaneda face au miroir : l’écriture du double au seuil du fantastique »

Thèse préparée à l’université Lumière Lyon 2, en cotutelle internationale avec l’université de Huelva.
Le jury est composé de :
M. Philippe MEUNIER, professeur à l’université Lumière Lyon 2, (directeur de thèse)
M. Luis GÓMEZ CANSECO, professeur à l’université de Huelva, (cotuteur)
M. David ALVAREZ ROBLIN, maître de conférence à l’université de Picardie Jules Verne,
Mme Anne CAYUELA, professeure à l’université de Grenoble Alpes,
Mme Marina MESTRE ZARAGOZÁ, professeure à l’université Lyon 3,
M. Pedro RUIZ PÉREZ, professeur à l’université de Cordoue

RÉSUMÉ
Dans le cadre de ce travail, nous avons cherché à nuancer les lectures majoritairement comiques du Quichotte de Cervantès (1605-1615) en mettant en lumière, non pas ses configurations sérieuses ou tragiques, mais ses tournures les plus inquiétantes, ou pour le moins étranges.
Dans notre première partie, nous avons souhaité proposer une approche structurée et cohérente des « trois Quichottes » (les deux parties cervantines et la continuation d’Avellaneda publiée en 1614), sous la forme d’un triptyque spéculaire. Cet agencement nous a permis de mieux décrire l’ensemble des stratégies mises en œuvre par Cervantès pour se défendre face à son concurrent, de lever le voile sur le sentiment de vertige, voire d’étrangeté, que le lecteur pouvait éprouver, et de mettre en lumière la poétique spéculaire de l’œuvre. La validité de la conception tripartite du Quichotte s’est ensuite vérifiée par une étude autour du protagoniste cervantin, qui se voit impacté par la publication du Second Tome entre les deux parties cervantines, et par l’examen du statut particulier de Dulcinée, qui a également révélé de nombreux jeux de miroirs entre les trois romans. Le développement des personnages centraux couplé à la sensation de vertige provoquée par l’apparition du roman avellanédien dans la suite cervantine nous ont alors amenée à nous interroger plus largement sur les multiples « doubles » qui, ponctuellement, apparaissent face au protagoniste cervantin.
Notre seconde partie s’est d’abord centrée sur les doubles de don Quichotte et a montré, une fois encore, que ces rencontres ne conduisent pas toujours à des situations purement risibles. Elles se rapprochent bien plus de dispositions romanesques futures, où ils incarnent des figures inquiétantes : le double cervantin serait-il à l’avant-garde du futur motif fantastique ? Notre analyse s’est enrichie par une étude des personnages de l’ensemble du corpus. Les nombreux doubles ainsi rencontrés ont conduit à un examen typologique qui a permis de cerner méthodiquement la diversité et la singularité de ces multiples figures, susceptibles de renvoyer à une configuration fantastique. La phénoménologie du double mise au jour a spécifiquement démontré la validité de la réflexion fantastique pouvant être menée sur le Quichotte.
Nous avons donc approfondi cette question dans la dernière partie de notre thèse : si le texte cervantin renferme les traces avant l’heure du double fantastique, ne pourrait-on pas trouver d’autres caractéristiques du genre à venir ? Le texte cervantin fait-il état d’une certaine « fantasticité » ? Pour répondre, nous nous sommes frayé un chemin parmi les épisodes les plus sombres du Quichotte afin de montrer, tant du point de vue de la dynamique narrative que du traitement de certains thèmes, que le roman portait en germe plusieurs caractéristiques d’un genre pourtant postérieur de deux siècles, et ce même si l’aventure aboutissait à une situation comique. Nos résultats nous ont finalement poussée à infléchir de façon significative notre recherche, dans une perspective comparée de la réception, grâce à onze traductions européennes (françaises, allemandes et anglaises) : les traducteurs allemands, anglais et français des XVIIIe et XIXe siècles, ont-ils été sensibles au triptyque quichottesque, à l’étrangeté du double « fantástico » que représente le chevalier de la continuation, et aux « visiones » et « fantasmas » qui peuplent le roman ?