Charlotte TRIOU « L’ordinaire de la création. Le pétrarquisme comme exercice éthique (1540-1620) »

Le jury sera composé de :

Emmanuel Buron, Université Sorbonne Nouvelle
Michèle Clément, Université Lyon 2
Audrey Duru, Université de Picardie Jules Verne
Julien Goeury, Sorbonne-Université
Claire Sicard, Université de Tours- CESR
Jean Vignes, Université Paris Cité

RÉSUMÉ

Cette thèse est consacrée aux canzonieri de cent-huit poètes, élargissant l’étude du pétrarquisme français de 1540 à 1620. La vision extensive de la pratique pétrarquiste permet de mettre au jour la continuité d’un « ordinaire de la création », d’abord considéré d’un point de vue collectif comme un ordinaire commun.
La question de l’appropriation du paradigme générique pétrarquiste se pose en des termes poétiques mais aussi éthiques. Cette approche éthique permet de poser un contrepoint à une historiographie du déclin maniériste, car l’exercice éthique s’observe pour chaque poète quelle que soit sa place dans l’histoire littéraire.
La composition des canzonieri relève à la fois de l’art poétique et de la construction éthique, c’est-à-dire de l’élaboration de l’ethos auctorial. L’ethos est ici défini à l’articulation de la rhétorique et de la philosophie pour caractériser une représentation du poète qui vise une reconnaissance éthique : les poètes se donnent l’enjeu de justifier la valeur de leur poésie amoureuse, qu’ils envisagent comme relativement faible ou haute, afin de situer plus largement cette production dans leur carrière de poète.
L’exercice éthique commence ainsi par le réglage de la représentation de soi dans la construction de l’ethos auctorial de poète pétrarquiste : se situer en tant qu’épigone ou émule, utiliser des faits biographiques, élaborer un ethos de métier (docte, courtisan, soldat), autant d’actes impliqués dans la valorisation éthique d’une manière de pétrarquiser, laquelle ne se réduit ni à des déclarations d’intention ni à des options stylistiques.
De plus, depuis l’itinéraire éthique mis en scène par Pétrarque qui dévalorise le giovenile errore tout en continuant au long de sa vie à chanter son amour profane, il existe une incertitude morale liée à la poésie amoureuse ou plus exactement au temps passé à en écrire. Entretenant différents rapports avec cette inquiétude, les poètes pétrarquistes s’emploient à justifier la valeur du temps qu’ils consacrent à leur activité pétrarquiste, minimisant ou haussant leur « ordinaire de la création », désormais envisagé comme ordinaire personnel. Là encore, la justification éthique ne se fonde pas seulement en parole mais s’ancre dans des actes et des expériences, et plus précisément se déploie dans des temporalités éthiques permettant de mettre en scène l’exercice poétique comme activité. Il s’agit donc de mettre au cœur de l’expérience de lecture la perception des temporalités éthiques qui se créent au sein d’un recueil ou dans une mise en série de plusieurs recueils (dans l’histoire des publications ou dans des enchaînements d’œuvres). Le temps vécu de l’exercice poétique est reconfiguré dans l’œuvre et parfois entre plusieurs œuvres pour donner sens à une activité voire pour orienter un itinéraire poétique.

Mots-clés : poésie française, pétrarquisme, canzonieri, auteur, ethos, éthique, exercice, temps, amour, 16e siècle, 17e siècle

ABSTRACT

This thesis deals with the canzonieri of one hundred and eight poets, extending the study of French Petrarchism over a long period, from 1540 to 1620. The extensive vision of Petrarchan practice reveals the continuity of an "ordinary of creation", that I first consider from a collective point of view as a common ordinary.
The issue of the appropriation of the Petrarchan generic paradigm is posed in poetic as well as ethical terms. This ethical approach provides a counterpoint to a historiography of Mannerist decline, since the ethical exercise can be observed for every poet, whatever their place in literary history.
The composition of canzonieri is both a poetic art and an ethical construction, in other words, the elaboration of an auctorial ethos. I define ethos at the intersection of rhetoric and philosophy, to characterize a representation of the poet that aims for ethical recognition : poets set themselves the challenge of justifying the value of their love poetry, which they see as relatively low or high, in order to situate this production more broadly in their career as poets.
The ethical exercise thus begins with the adjustment of self-representation in the construction of the Petrarchan poet’s auctorial ethos : situating oneself as an epigone or emulator, using biographical facts, elaborating a professional ethos (docte, courtier, soldier), all of which are involved in the ethical valorization of a Petrarchan way of writing, which cannot be reduced to declarations of intent or stylistic options.
Moreover, since Petrarch’s ethical itinerary devalues the giovenile errore while continuing throughout his life to sing of his profane love, there is a moral uncertainty linked to love poetry, or more precisely to the time spent writing it. The Petrarchan poets, who have different ways of dealing with this concern, set out to justify the value of the time they devote to their Petrarchan activity, downplaying or elevating their "creative ordinary", now conceived as personal ordinary. Here again, ethical justification is not based on words alone, but is rooted in deeds and experiences, and more precisely unfolds in ethical temporalities that make it possible to stage poetic exercise as activity. At the heart of the reading experience is the perception of the ethical temporalities that are created within a collection or in a series of several collections (in the history of publications or in the sequence of works). The lived time of the poetic exercise is reconfigured within the work and sometimes between several works to give meaning to an activity or even guide a poetic itinerary.

Keywords : french poetry, petrarchism, canzonieri, author, ethos, ethics, exercise, time, love, 16th century, 17th century