Emmanuel BOLDRINI « Imaginaire et poétique de la préhistoire dans les milieux symbolistes et décadents. Littérature, savoirs et culture visuelle. »

Le jury sera composé de :
M. LABRUSSE Rémi, directeur d’Études, École des Hautes Études en Sciences Sociales
Mme GLEIZES Delphine, professeure des Universités, Université Grenoble Alpes, directrice
Mme BAREL-MOISAN Claire, chargée de recherche CNRS, CNRS
Mme KRZYWKOWSKI Isabelle, professeure des Universités, Université Grenoble Alpes
M. MARCHAL Hugues, associate professor, Université de Bâle
Mme STEAD Evanghelia, professeure des Universités, Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines

RÉSUMÉ :

Particulièrement motivé par le rejet de la science, le mouvement de réaction qui préside à la sensibilité fin-de-siècle se voit peu soupçonné d’entretenir avec elle des relations étroites, fussent-elles souterraines. Alors que de nombreuses initiatives et études ont, particulièrement ces dernières années, mesuré et analysé l’ampleur de la diffusion de l’imaginaire préhistorique dans la culture populaire et les avant-gardes, son innutrition par les symbolistes et décadents, comme suspendus dans le vide qui sépare l’art académique et les modernismes, a jusqu’ici été moins abordée. Et pour cause, l’exploitation par une culture élitaire d’un matériau populaire car essentiellement décrit et diffusé par la vulgarisation, la peinture salonnière et les récits d’aventure, emprunte nécessairement des voies détournées et doit interpeller. À l’avenant, le rejet affiché de tout discours scientifique par ces tendances a pu décourager la recherche de mener un examen épistémocritique du corpus symboliste et décadent. Pourtant, ces mouvances littéraires et artistiques expriment une préoccupation manifeste pour la thématique des origines, corollairement à l’angoisse eschatologique, dont il convient de cerner les paramètres épistémiques. Prises en compte ou délibérément écartées, les dernières données scientifiques sur la question des origines de l’homme et du vivant, qu’elles émanent de la biologie évolutionniste ou de l’anthropologie préhistorique, ne sauraient être ignorées tant elles circulent dans la culture populaire.
Inscrite dans la modernité en tant que discipline mais orientée vers la vie primitive par son objet d’investigation, la préhistoire s’impose comme un discours équivoque, entre modernité et impossible nostalgie, qui inspire bien des paradoxes. Le constat du caractère massif de sa diffusion posé et étayé, il convient en effet de se demander ce qui se joue, sur les plans poétique, esthétique et idéologique, dans la reconduction de ce savoir dans une culture anti-scientifique, mais aussi dans le transfert d’un sujet populaire vers les productions élitaires. La décadence, en appariant artificialisme et primitivisme, mais aussi en associant la thématique de la fin du monde ou de la civilisation à celle de l’aube des temps, nous invite à explorer les régimes de temporalités que pensent ces auteurs et artistes. Cet examen du traitement de la thématique préhistorique par les décadents, qu’il repose sur le fantasme d’un âge d’or ou d’un âge farouche, permet donc d’en préciser les contours esthétiques, poétiques et philosophiques. Mais il permet aussi d’en deviner la singularité idéologique, dans la mesure où ces productions mettent systématiquement en crise la temporalité, progressiste, pourtant déployée dans l’imaginaire préhistorique populaire. Chez les symbolistes, ces spécificités idéologiques sont moins aisément repérables, tant ses protagonistes déplacent leurs aversions politiques vers un réinvestissement du merveilleux, de la mythologie et de la spiritualité. La préhistoire pourvoit alors l’imaginaire en motifs, thèmes et figures qui, puisant ou non dans un intertexte préexistant, nourrissent une mythologie propre. L’exploitation de ce matériau savant encourage donc paradoxalement l’expression de l’idéalisme, la tension vers la transcendance et la pensée magique, mais inspire aussi les rêveries, plus ou moins informées scientifiquement, portant sur l’origine du langage, de la poésie et de toute création. À cet égard, la rupture peut paraître nette entre ces aspirations mystiques et le primitivisme des avant-gardes du début du XXe siècle. Pourtant, le symbolisme n’est pas étranger à ce glissement de l’homme au gourdin vers l’homme au pinceau, de la représentation de l’homme préhistorique à l’imitation de son exemple. Par l’analyse de leur appropriation d’un sujet scientifique, ce travail fait également valoir la perméabilité des frontières entre décadentisme et symbolisme, mais aussi entre ce dernier et les écoles primitivistes.
Mots-clés : art - littérature - culture visuelle - préhistoire - épistémocritique - science - évolutionnisme

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