Histoires (matérialistes) du matérialisme
Contact : Guillaume COISSARD
La catégorie de matérialisme naît, historiquement, comme catégorie polémique. Au tournant des 17e et 18e siècle, elle sert avant tout à accuser les adversaires et à confondre les conséquences dangereuses de leurs doctrines. C’est en ce sens, par exemple, que Leibniz l’introduit dans la langue française, par souci de démarcation de sa pensée d’avec celles de Hobbes et d’Épicure. Il faut attendre 1748 et la parution de L’Homme Machine pour que La Mettrie, le premier, assume et revendique cette appellation. Il le fait alors, non pas en prétendant innover, mais au contraire en convoquant ce qu’il nomme le « système le plus ancien » de l’histoire de la philosophie. L’énoncé de thèses radicales s’accompagne de l’identification d’une tradition matérialiste dans laquelle s’inscrire.
Ce colloque veut s’intéresser à la façon dont les auteur.ices revendiquant une position matérialiste envisagent et reconstruisent a posteriori des histoires du matérialisme pour s’y inscrire, en user et s’y situer. Le pluriel est alors capital, car le matérialisme est moins une école philosophique qu’une tradition discontinue, selon le mot de G. Mensching1. Il peut en effet faire porter l’attention, dans la lignée d’auteurs comme Lucrèce, Diderot ou d’Holbach, sur la matérialité des phénomènes naturels ou, au contraire, dans la lignée marxiste, sur la détermination historique des phénomènes sociaux. Il peut tout aussi bien servir à construire une ontologie centrée sur le pouvoir propre des choses, dans le cadre des Nouveaux matérialismes, qu’à penser l’inscription des corps individuels à l’intersection des rapports de genre, de classe ou de race, dans le cadre, par exemple, d’un féminisme matérialiste.
Le pari est alors double : d’un côté, assumer que l’étiquette « matérialiste » n’est (la plupart du temps) pas purement nominale et qu’il existe un socle commun de thèses ou de gestes théoriques qui fondent sa revendication. Parmi ceux-ci, on mentionnera, entre autres, le fait de renoncer au pouvoir explicatif et à l’autorité des entités transcendantes, de refuser de penser l’individu en dehors des rapports réels qui le constituent—qu’ils soient naturels ou sociaux—et de considérer la pensée comme un phénomène dérivé non-autonome. De l’autre côté, il faut faire droit à la variété, voire à la conflictualité des traditions matérialistes, sans chercher à les réduire les unes aux autres. C’est par exemple en se distinguant nettement du matérialisme médical issu de Descartes que Marx précise son projet dans La Sainte famille.
Il s’agit ainsi de réfléchir à la façon dont celles et ceux qui se revendiquent matérialistes comprennent leur inscription dans la tradition philosophique et comment, ce faisant, iels construisent plusieurs courants et donnent à voir différentes figures possibles du matérialisme philosophique. Comment les matérialistes construisent-iels des histoires du matérialisme ?
1« Le matérialisme : une tradition discontinue », Matéria actuosa. Antiquité, âge classique, Lumières. Mélange en l’honneur d’Olibier Bloch, Paris, Honoré Champion, 2000, 513-525.
Comité scientifique : Angela FERRARO, Pierre-François MOREAU, Ann THOMSON, Charles T. WOLFE, Mitia RIOUX-BEAULNE