Jérémie ALLIET « Lucien était ainsi devenu presque un personnage ». Du personnage de roman au sujet de fiction dans l’œuvre d’Honoré de Balzac entre 1842 et 1848

Le jury sera composé de :
M. Eric BORDAS, ENS de Lyon, directeur
Mme Christèle COULEAU, Université Sorbonne Paris Nord
Mme Aude DÉRUELLE, Université d’Orléans, rapporteure
M. Vincent JOUVE, Université de Reims Champagne-Ardennes, rapporteur
Mme Françoise LAVOCAT, Université Paris III-Sorbonne Nouvelle

Ce travail s’intéresse à la poétique du personnage dans le récit et le roman balzacien à partir de 1842. Il mène l’hypothèse d’une représentation spécifique de la conscience individuelle dans la fiction, fortement influencée par le contexte d’écriture de la dernière partie de La Comédie humaine et les expériences vécues par Balzac à cette période. La date de 1842 est retenue comme borne chronologique en raison de la parution de l’ « Avant-propos », l’annonce de la mort du comte Hanski et la publication généralisée des romans balzaciens en feuilletons et en Furne. La cohérence du corpus s’impose au regard de la pulvérisation du prestige du personnage. La représentation de l’intériorité, de l’intersubjectivité et de la narration de l’individu de fiction est particulièrement ambiguë dans cette période et autorise à évoquer l’émergence d’un sujet balzacien, sujet conscient, réflexif et fictionnel qu’on étudiera suivant trois idées.
Ce sujet présente une conscience réflexive de sa propre complexité identitaire. Les passages balzaciens de réflexion sur soi, qui concernent principalement les personnages féminins, les artistes, les criminels, révèlent la complexité d’une saisie du sujet par le psycho-récit. Par ailleurs à la représentation physiognomonique du corps postulant la lisibilité du physique et la cohérence entre l’apparence et les états psychiques, succède un brouillage de la frontière entre la vie intérieure et la vie matérielle : les objets et le paysage occupent une fonction de transition entre le monde et.la conscience réflexive du sujet romanesque.
La définition de celui-ci passe alors par le regard d’autrui et l’élection du couple, à la fois comme figure textuelle recodifiant les rapports intimes, et comme structure qui configure la population fictionnelle. L’extraordinaire plasticité des étiquettes affectives dans le roman balzacien (qu’il s’agisse des désignations familiales, amicales, amoureuses ou sexuelles) trouve sa motivation dans la recherche ontologique de l’alter ego. Du point de vue de la structure générale des œuvres, une approche quantitative modélisant la population fictionnelle (et les sujets en relation) sous forme de graphes nous permet de prendre conscience de la spécificité de certains personnages dans le personnel romanesque.
Le sujet présente enfin un rapport ambigu à la narration et au narrateur, où les discours se mélangent, les identités s’interceptent, les frontières de la fiction sont remises en cause par la porosité entre les mondes et espaces intérieurs. Le sujet narratif et le sujet énonciatif tendent à se recouper, selon une pratique balzacienne de la métalepse rhétorique dont on détaillera les subtilités, notamment l’usage du pronom vous. Par ailleurs, le personnage balzacien tend à faire de sa vie intérieure un espace de fiction dans la fiction elle-même, et la métaphore du théâtre que l’on trouve dans de nombreux textes de La Comédie humaine peut (entre autres) s’interpréter en termes de métalepse ontologique, brouillant les lois établies de et dans la représentation fictionnelle.
Cette proposition d’ontologie narrative du sujet de fiction s’intéressera donc au personnage comme sujet franchissant les frontières de l’univers romanesques : frontière entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’immatériel et le corporel, entre l’intime et le public, entre l’individuel et le collectif, entre l’intradiégétique et l’extradiégétique et enfin entre plusieurs univers de fiction emboîtés les uns dans les autres.