La métaphysique et les sciences au XIXe siècle en France



La philosophie au XIXe siècle en France fait l’objet d’un jugement paradoxal :

D’un côté en effet, elle est évaluée comme une « réflexion philosophique tournant à vide ; l’univers mental du philosophe se rétrécit sans cesse. A la limite d’une ascèse de plus en plus formelle, la méditation semble réduite à l’opération d’un estomac qui, faute d’aliments, se digérerait lui-même » (Gusdorf, 1974, p. 436). Le retour à une métaphysique coupée de l’héritage des Lumières et des Idéologues, a entraîné l’exclusion des contenus positifs et coupé la philosophie de toute possibilité de prendre sa part dans l’avènement de l’anthropologie moderne.

Mais de l’autre, les contemporains de ce XIXe siècle purent, dans les nombreuses Situations dans lesquelles ils se sont essayés à écrire leur propre histoire, se décrire eux-mêmes par des interactions plutôt que par des exclusions. Dans le tableau qu’il destine aux Américains, Bergson esquisse ainsi les deux principaux traits qui donnent selon lui à la « philosophie française », depuis le seizième siècle, sa physionomie propre : « c’est une philosophie qui serre de près les contours de la réalité extérieure, telle que le physicien se la représente, et de très près aussi ceux de la réalité intérieure, telle qu’elle apparaît au psychologue » (Bergson, 1915, p.18). Ce qui serait spécifiquement français, par différence avec ce qui vient d’Allemagne ou de Grande-Bretagne, résiderait dans cette articulation.

Par-delà leur polarité, ces deux jugements placent ainsi au coeur de la définition de la philosophie, et de la forme particulière qu’elle prend en France au XIXe siècle, la question des rapports que la métaphysique, essentiellement envisagée dans sa dimension psychologique, entretient avec les sciences.

Dans le cadre du programme LabEx COMOD "The Battle for the Science of Man" (BATTMAN), l’objectif de ce colloque est d’explorer l’ensemble de ces relations. La relation d’exclusion réciproque est un cas de figure : exclusion, par les philosophes-métaphysiciens, de l’intégration des savoirs positifs dans une science de l’homme ; et exclusion, par les scientifiques-positivistes, de la part de spéculation dans la connaissance de la nature et de l’homme en tant qu’être naturel et social. Mais les démarcations réciproques elles-mêmes procèdent d’interactions, dont on oublie souvent qu’elles manifestent un lexique et des enjeux communs. La requalification condillacienne de la métaphysique abstraite, en humble connaissance des limites (étendue et bornes) de la connaissance humaine, peut ainsi, au fur et à mesure du siècle, se transformer en idéologie puis en psychologie empirique et en métaphysique positive. Symétriquement, les progrès scientifiques attendus, notamment en médecine, peuvent être corrélés à une théorie plus rigoureuse des relations entre l’esprit et le principe vital, et se traduire dans diverses formes de spiritualisme organique ou de métaphysique médicale.

Ce colloque nous permettra ainsi d’observer une philosophie au travail, ou à l’état pratique, cherchant à se constituer dans un dialogue permanent avec des champs du savoir que l’on a pu ensuite considérer comme ses extérieurs. Il nous permettra, en somme, de repenser l’intérêt et les enjeux d’une pratique interdisciplinaire de la philosophie, à partir d’un retour sur la genèse polémique des séparations disciplinaires actuelles.