La place des Lumières dans les pays arabo et/ou musulmans : pour une nouvelle approche des liens Orient/Occident.


Organisé par Pascale PELLERIN (CNRS, IHRIM) et Halima OUANADA (Université de Tunis El Manar, ATEL).

Les liens entre ce que l’on nomme les Lumières occidentales et le monde arabo-musulman ont donné lieu à plusieurs études ces dernières années. Les analyses sur la relation entre ces deux entités culturelles ont souvent été confinées à une réflexion sur l’orientalisme et sur le regard porté par les écrivains occidentaux sur le monde musulman. La colonisation d’une partie des territoires musulmans par les puissances européennes explique en majeure partie cette approche qui s’est révélée très utile mais qui mérite aujourd’hui d’être dépassée et réorientée.
Plusieurs phénomènes justifient une nouvelle problématique moins tournée vers le regard de l’occident sur les pays musulmans que sur une construction d’un occident à l’intérieur de ces mêmes pays. Les révolutions arabes en renouant avec la geste insurrectionnelle ont assigné les pays occidentaux à une situation de stagnation et de fermeture confirmée par les replis nationalistes ces dernières années. D’autre part les attentats terroristes perpétrés par les djihadistes en Europe, le massacre des journalistes de Charlie Hebdo en France le 7 janvier 2015 ont fait surgir la figure de Voltaire comme symbole même de la tolérance et de la lutte contre le fanatisme. Or cette appropriation, nécessitée par une situation de crise profonde, aussi séduisante qu’elle puisse être, ne nous permet pas de saisir, dans toute sa complexité, la violence à l’œuvre dans le monde contemporain. Elle confisque Voltaire censé n’appartenir qu’au monde européen voire français comme si la tolérance ne pouvait être revendiquée que dans l’espace européen. C’était oublier que la violence était ou avait été le théâtre quotidien dans un grand nombre de pays de culture musulmane, l’Algérie, Afghanistan, le conflit israélo-palestinien, l’éclatement de la Yougoslavie, enfin la destruction de l’Irak par les bombardements occidentaux en 2003 qui a contribué à la naissance de l’Etat islamique. Lorsqu’il est question des Lumières, il n’est jamais question de ces conflits d’une violence extrême. Cette amnésie doit nous interroger sur le paradigme Lumières qui reste confiné dans un monde de paix et qui ressurgit en force lorsque ce mirage se fissure dans les pays occidentaux qui doivent faire face à la tragédie. Afin de saisir toute la complexité de l’objet Lumières, on se doit de le confronter à l’histoire de ces pays auxquels on reproche, depuis les attentats meurtriers en Europe, de ne pas tisser de liens assez solides avec l’œuvre civilisationnelle des Lumières occidentales. De plus, comme le fait remarquer Jean-Pierre Filiu dans son ouvrage Généraux, gangsters et djihadistes, Histoire de la contre-révolution arabe, le manque de solidarité des puissances occidentales avec les révolutions arabes a témoigné du peu d’engouement pour la libération de peuples soumis à de terribles dictatures et mis à mal l’idée d’universalisme des Lumières.
L’on doit s’interroger sur la définition des Lumières, objet en perpétuelle construction mais aussi redéfinir les espaces arabo-musulmans. On ne peut s’en tenir qu’aux pays arabes puisqu’il existe un grand nombre de pays musulmans en dehors de la sphère arabe, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Indonésie, etc. Et inversement, les pays de la sphère arabe comportent des minorités chrétiennes, yézidis, zoroastriennes, etc. Le concept de Lumières se définit-il de la même façon chez ces minorités ?
Au-delà des questions nationales importantes dans ces territoires, des décolonisations, du travail des réformistes au XIXe siècle, il faut s’interroger sur la manière dont ils ont découvert et lu les écrivains des Lumières ? Muhammad Iqbal, considéré comme le père spirituel du Pakistan voit en Rousseau un défenseur de la lutte anti-absolutiste. Dans les pays colonisés par la France, on découvre les textes des philosophes en français. Ailleurs, l’on doit passer par des traductions. On peut se demander si ces différents modes de découverte des textes, dans un contexte colonial ou non-colonial, ont transformé leur appréciation. Quand sont apparues les premières traductions des textes des Lumières en Iran, en Afghanistan, au Pakistan, au Moyen-Orient colonisé en partie par le pouvoir britannique ? Quel impact les colonisations ont-t-elles eu sur la définition des Lumières et leur mode de transmission ? Le corpus envisagé peut s’étendre à la production de journaux, aux manuels scolaires. Trouve-t-on des romans qui s’inspirent des auteurs des Lumières, soit des personnages qu’ils ont mis en scène, soit de leur figure ? Qu’en est-il du théâtre ? Les essais philosophiques publiés aux XIXe, XXe et XXIe siècles établissent-ils des liens avec la philosophie déiste ou matérialiste des Voltaire ou Diderot ? Les grands ouvrages critiques de Daniel Mornet, d’Ernst Cassirer ont-ils trouvé un écho dans ces aires géographiques ?
L’articulation Orient/Occident se trouve aujourd’hui dans une situation fort complexe [1] dans laquelle « les Lumières », risquent d’être prises en otage. Afin d’échapper au piège qui opposerait la civilisation occidentale à la barbarie musulmane, il faut se tourner vers la généalogie de ces constructions à la lumière de la crise actuelle. L’outil Lumières permettrait alors de repenser ce que Gilbert Achcar désigne sous l’expression « choc des barbaries, la barbarie des puissants attisant la barbarie asymétrique des faibles [2] » .

Les communications en français dureront 25 minutes chacune. Les propositions, accompagnées d’un résumé et d’une courte notice biographique (500 mots maximum, 3000 signes), sont à adresser avant le 31 mars 2020 par e-mail à l’adresse suivante (de préférence aux deux) : pascale.pellerin2 orange.fr / halima.ouanada issht.utm.tn

La réponse du comité scientifique se fera début avril 2020 au plus tard.
Un programme touristique et culturel est prévu.