Laélia VÉRON « Le trait d’esprit dans la Comédie humaine de Balzac : Étude stylistique »
L’esprit, comme forme de la conversation, est au XIXe siècle une notion fondamentalement ambiguë. Hérité du XVIIe siècle et de l’âge d’or de la conversation, profondément marqué par les bouleversements de l’âge post-révolutionnaire, bousculé par le développement de la mystification, du persiflage, de la blague, et de la raillerie journalistique, le trait d’esprit prend tendanciellement un tour agonistique et instrumental dans les luttes sociales de l’époque. Balzac, journaliste, blagueur, mais aussi conservateur et amoureux des « conversation[s] entre onze heures et minuit » paraît emblématique de cette ambiguïté.
Le trait d’esprit, parole brillante et concise, qui se veut singulière, peut être appréhendé comme un énoncé détachable. Notre approche stylistique sera donc en premier lieu celle d’une analyse des figures, au niveau de l’unité-énoncé et des catégories syntactico-sémantico-lexicales de la phrase. Cependant, suite aux acquis de la grammaire du texte, il apparaît que la signification même de ces catégories ne peut être comprise que par rapport à des structures extra-énoncives : nous tenterons ainsi de replacer systématiquement ces énoncés dans leur contexte discursif. Considérant que le trait d’esprit, en tant que performance sociale, doit être défini en partie par les conditions mêmes de son énonciation, nous tenterons de comprendre le fonctionnement de cet acte socio-discursif grâce aux acquis de l’analyse du discours. Notre travail privilégiera donc une approche conversationnelle (ou interactionnelle, selon les terminologies) et pragmatique, en s’attachant à étudier non seulement ce que dit le trait d’esprit, mais aussi ce qu’il communique, qu’il s’agisse des traits d’esprit des personnages ou de ceux du narrateur. L’interaction dialectique de ces deux niveaux nous permettra d’interroger la valeur romanesque du trait d’esprit, parole ambiguë, entre référence sérieuse et jeu métalinguistique, caractéristique du réalisme paradoxal de La Comédie humaine.
The notion of “esprit” (French wit), a feature of the art of conversation, was, all through the 19th century, an ambiguous one. The art of witticism – a legacy of the 17th century and of the golden age of conversation – was, however, deeply altered by the advent of other forms of wit such as mystification, persiflage, jokes and journalistic banter : “traits d’esprit” (witticisms) gradually took on an agonistic dimension and became instruments in the social struggles of the time. Balzac, a journalist, a joker but also a conservative writer and a lover of “conversations between eleven o’clock and midnight” is emblematic of this ambiguity.
“Traits d’esprit” (Witticisms) – short and clever statements aimed at being remarkable – can be studied as stand-alone utterances. That is why I shall first proceed to an analysis of the stylistic devices at work at the level of utterance, and relying on syntactic, semantic and lexical categories. However, drawing from the findings of text grammar, it appears that the meaning of these categories can only be understood in relation to an extra-utterance context and structures. Therefore, I shall systemically attempt to contextualize these utterances within a larger discursive framework. “Traits d’esprit” being social performances, they have to be defined in regard to the situation of utterance. I shall therefore use the tools of discourse analysis in order to break down the mechanisms of such a socio-discursive act. The present work thus relies on a conversational (or interactional) and pragmatic approach. It attempts to tackle not only what is said but also what is conveyed in those “traits d’esprit”, whether they belong to the characters’ or the narrator’s discourse. It is through the dialectic interaction between these two levels of wit that I intend to assess the role of witticisms. Ambiguous utterances, “traits d’esprit” pertain to serious references as well as to metalinguistic games, and are thus characteristics of the paradoxical realism to be found in La Comédie humaine.
Le jury sera composé de :
M. Bordas, Professeur à l’ENS de Lyon (directeur)
Mme Déruelle, Professeur à l’Université d’Orléans (rapporteur)
Mme Herschberg Pierrot, Professeur à l’Université de Paris 8 (rapporteur)
Mme Preiss, Professeur à l’Université de Reims (examinateur)
M. Leborgne, Habilité à diriger les recherches, Maître de Conférences à l’Université de Paris 3 (examinateur)