Le motet en France, du Second Empire à la Belle Époque : histoire, écriture, pratique et diffusion
Contact : Isabelle BRETAUDEAU
Les propositions seront à envoyer à Isabelle BRETAUDEAU avant le 15 juin 2021 (un résumé de 2500 signes au maximum, assorti d’une brève bibliographie). Les réponses seront communiquées au plus tard le 15 juillet 2021.
Le sujet de la musique religieuse en France dans le second XIXe siècle reste à ce jour relativement peu abordé. Si l’immixtion du répertoire profane dans l’enceinte ecclésiale (colloque Au sanctuaire comme à la scène ? Dialectique et porosité des pratiques musicales d’église et de théâtre du Ier Empire à la Belle époque en 2016) ou encore l’importance des temps forts de l’année liturgique dans la
« musicalisation » des sanctuaires parisiens ont été récemment étudiés (voir Fanny Gribenski), parallèlement, seul le genre de la messe a donné lieu à des investigations (colloque Musique et pratiques religieuses en France en 2014). Un autre genre est pourtant omniprésent dans la vie liturgique catholique : il s’agit du motet. Au XIXe siècle, le motet est le nom donné « à tout morceau religieux écrit sur un texte latin, nous dit Dominique Hausfater. Déjà passé de mode à la fin du XVIIIe siècle, [il] demeure au siècle suivant un genre mineur, malgré une abondante production. La distinction “petit motet” et “grand motet” n’est plus d’actualité et c’est surtout le premier genre, dont la brièveté favorise l’unité d’expression, qui attire les compositeurs. »
Ces œuvres aux petits formats instrumentaux et temporels illustrent tous les temps catholiques de l’année liturgique. Elles sont jouées pendant les messes ou durant les nombreuses fêtes votives, processions et cérémonies religieuses dédiées, très en vogue à partir de la seconde moitié du siècle (notamment celles associées au culte marial qui se développe alors). Les textes choisis illustrent ces moments privilégiés « en particulier les prières pour la bénédiction du Saint-sacrement (O salutaris hostia, Pie Jesu, Ave verum, Tantum ergo, O sacrum convivium…), exécutées à la messe pendant l’élévation ou au cours des saluts. Le “Salut”, initialement un office en l’honneur de la Vierge, avait depuis le XVIe siècle une destination plus eucharistique. L’origine mariale de la cérémonie s’était cependant perpétuée par le chant de motets en l’honneur de la Sainte Vierge (Ave Maria, Salve Regina, Regina coeli, Ave maris stella…), très populaire au XIXe siècle. » (D. Hausfater)
Sans avoir véritablement connu d’interruption de sa production dans le début du XIXe siècle, le motet semble connaître un renouveau autour des années 1850 conjointement au nouvel élan religieux qui se fait jour – lequel se caractérise par un climat de miracles et par une dévotion démonstrative valorisée par l’Église lors de fêtes liturgiques fastueuses. Son esthétique d’alors n’échappe pas à la tendance générale d’une inspiration de nature parfois profane par l’adaptation d’airs existants (tel l’Ave Maria de Gounod sur le 1er prélude du Clavier bien tempéré de J. S. Bach) ou par la composition d’œuvres
dont l’expressivité et le style ne paraissent pas adaptés à l’église. Une transformation s’opère tout au long du siècle pour aboutir dans les deux ou trois dernières décennies du siècle à des créations
« conciliant musique de qualité et scrupules religieux » (D. Haufstater).
L’instrumentation chambriste du motet associe souvent dans ses versions les plus simples la voix (solo, duo, trio, chœur) à l’orgue ou au piano (chœur mixte pour Sicut cervus de Gounod, soprano pour Tantum ergo de Dubois, quatre voix mixtes pour Ave verum de Gigout, ténor pour Ave Maria de Vierne, etc.) ; parfois la combinaison d’une voix soliste et du chœur à l’orgue (Ave Maria de Chausson et de Guilmant, Tantum ergo op. 55 de Fauré, Justus ut palma de Franck, etc.) ; plus rarement les voix a cappella (Ave verum à quatre voix mixtes de Saint-Saëns, Sancta Maria succurre miseris à trois voix mixtes de d’Indy, Regina coeli de Cras à quatre voix mixtes, etc.). Elle conjugue sinon, selon les lieux de son exécution, l’orgue ou l’harmonium, la harpe ou le piano, le violon, le violoncelle, la contrebasse, le cor à la voix soliste ou aux voix (Ecce sacerdos magnus de Messager, pour mezzo-soprani (enfants), ténors, barytons et basses, avec accompagnement d’orgue et d’instruments à cordes, Panis angelicus de Dubois, pour ténor, harpe, violoncelle, orgue et contrebasse, Ecce fidelis servus de Gédalge pour trois voix mixtes, violon et orgue, etc.). Les voix sont soit celles d’enfants (celles des maîtrises), soit celles d’hommes. L’usage des voix de femmes à l’église demeure une interrogation. Ces dernières (solistes ou choristes) sont-elles pleinement autorisées à chanter dans l’enceinte paroissiale, seulement tolérées, ou alors interdites ? L’indication vocale « chant » de certains motets pourrait manifester un flottement sur ce sujet. D’autres compositions optent expressément pour un timbre féminin (Ave verum, Lauda Sion et Benedictus de Chausson, Ave Maria op.93 de Fauré, etc.). Tout ceci pose donc les questions de la place des femmes à l’église, des relations entre l’Église et les musiciens, des conditions et lieux d’exécution de ces œuvres et donc de leur fonction. Plus généralement, l’instrumentation est directement reliée à la richesse de la paroisse, laquelle permet de disposer, outre de son harmonium – ou de sa maîtrise et son organiste –, d’autres musiciens occasionnels. Cependant, si la question de la voix féminine interroge les usages dans les paroisses tout au long du second XIXe siècle jusqu’aux premières décennies du siècle suivant, l’instrumentation (par exemple le choix d’un piano ou d’un harmonium à la place d’un orgue) soulève également des interrogations, comme parfois celles des instrumentations voulues (Deus Abraham de Chausson connaît ainsi deux versions instrumentales et deux tonalités différentes) ou encore une fois, celles de leur lieu d’exécution. De là, la réalité de leur pratique, de leur diffusion, de leur notoriété. Quel latin était-il en outre pratiqué : romain ou gallican ?
Les motets connurent des fortunes éditoriales diverses. Ceux de Chausson, à une exception près, furent édités à titre posthume par exemple, quand ceux de Dubois, réunis par l’auteur en recueils thématiques, furent réimprimés à plusieurs reprises, pour l’usage des maîtres de chapelle et d’un public conquis. Ces destins éditoriaux contrastés, qui ne se limitent pas aux cas de Chausson et Dubois, nous semblent également de nature à fournir des pistes pour tenter de comprendre la vie et le destin de ces œuvres.
Les motets sont l’œuvre de compositeurs appointés par une église. C’est le cas de Charles Gounod, Théodore Dubois, Camille Saint-Saëns, César Franck, Alexandre Guilmant, Gabriel Fauré, Charles-Marie Widor ou encore Louis Vierne. La composition de ces œuvres relève logiquement de leur travail en prise directe avec la liturgie quotidienne. Les motets sont également le fait de musiciens qui n’entretiennent pas de lien fonctionnel avec une paroisse. Ainsi de Vincent d’Indy, Joseph-Guy Ropartz, Ernest Chausson, Jean Cras, Lili Boulanger ou encore Déodat de Séverac. Ces musiciens ont en commun d’être des catholiques pratiquants. Cependant, leurs motivations comme la destination envisagée pour ces œuvres restent à interroger.
Dans le sillage de la Révolution française, les liens entre l’Église romaine et l’Église gallicane, mais surtout entre l’Église et l’État – quels que soient ses différents régimes – sont toujours source de conflits durant la seconde moitié du XIXe siècle. Parallèlement, la musique et la pratique musicale religieuse, poreuses au monde profane, cristallisent les tensions. Le Motu proprio de Pie X, en novembre 1903 d’un côté, puis la loi de séparation de l’Église et de l’État en décembre 1905 de l’autre, apparaissent comme les résultantes visibles des désaccords vécus jusque-là. Chacun cherche alors à reconquérir son territoire, réaffirmer son rôle, clarifier les frontières de son pouvoir – spirituel ou séculier. Cette lutte d’influence entre pouvoirs politique et religieux n’est pas sans rejaillir sur la production musicale des paroisses ; sur la manière de concevoir et de pratiquer la musique à l’église. Dans quelle mesure le motet et son évolution se font-ils l’écho de ces controverses politiques ?
Dans le même temps que l’État et l’Église s’affrontent, deux institutions musicales dédiées à la musique religieuse voient le jour. Il s’agit de l’École Niedermeyer (créée en 1853) et de la Schola cantorum (créée en 1896). La première forme spécifiquement des maîtres de chapelle et des organistes qui seront amenés à occuper ces fonctions dans les paroisses. Toutes deux enseignent à leurs étudiants le plain-chant, les vertus du répertoire vocal ancien du XVIe siècle. À cet égard, il faut noter que les préconisations du Motu proprio de Pie X se fondent sur le travail effectué par la Schola et par Bordes à Saint-Gervais, car il se réfère dans son texte aux transformations déjà « opéré[es] en cette matière au cours de ces dix dernières années ». Les élèves de ces deux institutions goûtent aux sources grégorienne et palestrinienne qui, progressivement, imprègnent leur musique. Au concert, pendant que la musique lyrique règne toujours en maître, se donnent des programmes de musique ancienne (citons ici particulièrement les Chanteurs de Saint-Gervais de Bordes à partir de 1892). Ces sonorités nouvelles, entendues en des lieux publics, nous semblent également de nature à influer sur la création musicale. Aussi, que pouvons-nous dire du genre du motet à l’aune des transformations esthétiques observées ?
L’évolution du motet en France à partir du second XIXe siècle s’opère donc en parallèle des questions sur la « restauration d’une musique religieuse plus conforme à sa fonction » (D. Haufstater), de celles affectant les liens entre l’Église et l’État, entre les Églises de France et de Rome ; des questions concernant la pratique religieuse et les mentalités. Cette évolution se nourrit également des fruits d’un enseignement musical dédié enfin stabilisé dont l’importance et l’influence furent fondamentales.
Le colloque pluridisciplinaire organisé souhaite interroger le motet en France du second XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il s’agira donc de questionner le genre et son environnement immédiat durant cette période : son histoire, son inscription dans les pratiques religieuses et sociales, les liens entre pouvoirs temporel et spirituel, les pratiques religieuses, la diffusion et la réception de ce répertoire spécifique. Il s’agira également de dresser un état du répertoire, de son évolution, mais aussi de questionner l’écriture du genre et les conditions de son exécution. Il s’agira enfin de mettre le genre en perspective de la production musicale contemporaine et de réfléchir à la postérité de ce répertoire.
Plus précisément, les communications proposées s’inscriront dans les thématiques « 1- Histoire et société », « 2- Écriture », « 3- Pratique », « 4- Diffusion et réception ». Elles pourront notamment examiner :
1- les liens entre la société et la religion, la vie des paroisses, la pratique religieuse propre à cette période (culte marial, processions, pèlerinages par exemple) ; évaluer l’apport des écoles spécialisées, les circonstances et les raisons de la vitalité du genre ; interroger les relations des compositeurs avec la religion et leur foi ; dresser un état du corpus et de ses spécificités éventuelles en France ; mettre en évidence son évolution.
2- Les communications pourront aborder la question de la facture des motets, leur écriture et leur style (langage harmonique, instrumentations, prosodie, etc.), quitte à focaliser le propos sur l’analyse d’un corpus entier, d’une œuvre en particulier ou à recourir à l’analyse comparée ; elles pourront aussi interroger l’existence de traits techniques et esthétiques propres à la facture des motets.
3- Concernant les questions de pratique du genre, les sujets pourront porter sur les questions des temps/moments religieux où sont donnés les motets – la pratique du motet in situ –, d’interprétation (choix instrumentaux, choix vocaux – timbres et tessitures –, prononciation du latin par exemple), des lieux d’exécution (églises, couvents, salons, concerts, etc.) qui nous paraissent devoir être précisés.
4- Enfin, pour ce qui concerne la diffusion et la réception des motets, les communications pourront interroger les questions de public(s) et d’accueil fait au genre ; celles de leur édition ou non et des significations que ces états de fait recouvrent en regard d’autres genres éventuellement ; enfin, leur postérité.
Éléments bibliographiques
BRETAUDEAU Isabelle, Les dix motets d’Ernest Chausson op.6, 12 et 16 (éd.), Lyon, Symétrie, 2021
CAMPOS Rémy, La Renaissance introuvable ? Entre curiosité et militantisme : la Société des concerts de musique vocale, religieuse et classique du prince de la Moskowa (1843-1847), Centre d’Études supérieures de la Renaissance, Paris, Klincksieck, 2000, 264 p.
CARON Sylvain et DUCHESNEAU Michel (direction scientifique), Musique, art et religion dans l’entre- deux-guerres, Lyon, Symétrie, collection « Perpetuum mobile », 2009, 505 p.
CHOLVY Gérard, Christianisme et société en France au XIXe siècle (1790-1914), Paris Éditions du Seuil, coll. « Points Histoire », 1997, rééd.2001, 197p.
COEUROY André, « La musique religieuse », Cinquante ans de musique française de 1874 à 1925, Tome II, Paris, Les éditions musicales de la Librairie de France, 1925, p. 139-174
CUCHET Guillaume, Une histoire du sentiment religieux au XIXe siècle, édition du Cerf, 2020, 424 p.
DAVY-RIGAUX Cécile, DOMPNIER Bernard, and HUREL Daniel-Odon (dir.), Les cérémoniaux catholiques en France à l’époque moderne : Une littérature de codification des rites liturgiques, Turnhout : Brepols Publishers, 2009, 560 p.
DUMONT Martin (dir.), Musique et religion aux époques modernes et contemporaines XVIe-XXe siècles, Paris, Honoré Champion, 2018, 160 p.
ELLIS Katharine, The Politics of Plainchant in fin-de-siècle France. RMA Monographs series no. 20. Ashgate Publishing, 2013
ELLIS Katharine, Interpreting the Musical Past : Early Music in Nineteenth-Century France Oxford, Oxford University Press, 2005, 324 p.
FILET Emmanuel, Fernand de La Tombelle, Écrits sur la musique sacrée (1896-1927), Publications Historiques de l’EST, Collection « Sources », Volume 67, déc. 2020, 389 p.
GRIBENSKI Fanny, L’église comme lieu de concert, Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2019, 437 p.
HAUSFATER Dominique, « Motet », Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle sous la direction de Joël-Marie Fauquet, Paris, Fayard, 2003, p. 823
LESPINARD, Bernadette, Les passions du chœur, la musique chorale et ses pratiques en France 1800-1950, Paris, Fayard, coll. « Chemins de la musique », 2018
PASLER Jann, La République, la musique et le citoyen (1871-1914), Paris, Gallimard, 2015, 688 p.
PETIT Vincent, Église et nation – La question liturgique en France au XIXe siècle, Presses Universitaires de Rennes, collection « Histoire », 2010, 199 p.
Le sujet de la musique religieuse en France dans le second XIXe siècle reste à ce jour relativement peu abordé. Si l’immixtion du répertoire profane dans l’enceinte ecclésiale ou encore l’importance des temps forts de l’année liturgique dans la « musicalisation » des sanctuaires parisiens ont été récemment étudiés, parallèlement, seul le genre de la messe a donné lieu à des investigations. Un autre genre est pourtant omniprésent dans la vie liturgique catholique : il s’agit du motet. Au XIXe siècle, le motet est le nom donné « à tout morceau religieux écrit sur un texte latin, nous dit Dominique Hausfater. Déjà passé de mode à la fin du XVIIIe siècle, [il] demeure au siècle suivant un genre mineur, malgré une abondante production. La distinction “petit motet” et “grand motet” n’est plus d’actualité et c’est surtout le premier genre, dont la brièveté favorise l’unité d’expression, qui attire les compositeurs. » [...]
Le colloque pluridisciplinaire organisé souhaite interroger le motet en France du second XIXe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il s’agira de questionner le genre et son environnement immédiat durant cette période : son histoire, son inscription dans les pratiques religieuses et sociales, les liens entre pouvoirs temporel et spirituel, les pratiques religieuses, la diffusion et la réception de ce répertoire spécifique. Il s’agira également de dresser un état du répertoire, de son évolution, mais aussi de questionner l’écriture du genre et les conditions de son exécution. Il s’agira enfin de mettre le genre en perspective de la production musicale contemporaine et de réfléchir à la postérité de ce répertoire."
Organisé par l’université Lumière Lyon 2 et le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon