Marcel Schwob, écrivain du trouble


Organisation : Stéphane GOUGELMANN

Les propositions de communication doivent être envoyées avant le vendredi 30 septembre 2022 à Stéphane GOUGELMANN

À la lecture de Marcel Schwob, « le trouble subsiste ». Ainsi s’exprime sa nièce l’artiste Claude Cahun ( La Gerbe, mai 1920). Elle précise quelques lignes plus loin : « Il portait en lui un étrange et troublant univers ». C’est dire le caractère déroutant, insaisissable de l’œuvre et de la personnalité de son auteur, souvent souligné par ses contemporains : Schwob restait pour Jules Renard un « indéchiffré », pour Bernard Lazare « un esprit inquiet » à la pensée mouvante voire contradictoire. C’est dire aussi, du point de vue du lecteur, les limites d’une herméneutique, tout en suggérant un plaisir inavoué à cette incertitude.

Une œuvre aussi déconcertante s’inscrit dans un mouvement fin de siècle de crise du sens et des formes. Certains remettent en cause les fondements scientistes du naturalisme ; les symbolistes encensent l’obscur ; la décadence émiette ou surcharge de facticité une réalité douteuse ; les premiers linguistes démasquent l’arbitraire des signes ; Jules de Gaultier et Remy de Gourmont portent à son acmè le subjectivisme de Schopenhauer, etc. Alors, des voix singulières s’affirment en allant « à rebours » des représentations convenues. Parmi elles, celle de Marcel Schwob résonne de façon particulièrement « étrange » en ce qu’elle privilégie la brièveté et l’ellipse et recourt à une multiplicité de points de vue, une grande diversité de tons et d’approches, pratique, en d’autres termes, une « écriture plurielle » (Michel Viegnes). Chaque volume de son œuvre surprend par son unicité, par son absence de conformité à un modèle préexistant, par sa subversion des genres littéraires et de leurs canons (qu’on songe notamment au Livre de Monelle, à Vies imaginaires ou à Mœurs des diurnales). Les phénomènes de réécriture caractéristiques de son œuvre s’accompagnent toujours d’une émancipation créatrice qui déjoue les codes et les attentes du lecteur : « il faut détruire les formes », écrit-il dans Le Livre de Monelle.

Or, n’est-ce pas justement le caractère déroutant de cette œuvre qui lui confère une audience durable ? Considérer comme intentionnels son flottement générique et sémantique ainsi que la désorientation qu’elle suscite, ne permettrait-il pas d’en dégager une cohérence, une signification nouvelle ? Ne devrait-on pas partir du principe que, loin d’en être le résultat, cette esthétique du trouble prend sa source dans une volonté consciente de donner forme à l’ambiguïté, à l’équivoque, au mélange mais aussi à l’indécis et à l’indéterminé ?

Dans cette perspective, au lieu de représenter un obstacle obturant l’analyse, la notion de trouble, dans toutes les acceptions du terme – ce qui opacifie, confond, altère, menace, dérange, émeut…, et transforme –, ouvrirait donc une voie pour comprendre les façons dont la production littéraire schwobienne déjoue les attentes, détourne les formes, mélange les héritages, brouille les identités et fait vaciller les certitudes. Œuvre troublante, vision troublée, univers trouble… comprendre toutes les implications de cette notion de trouble incite à s’intéresser aux normes et à leurs contournements, à la mise en défaut des critères de reconnaissance, aux déplacements des lignes qui dessinent possiblement de nouvelles significations, ou en révèlent vertigineusement l’absence. C’est s’inscrire dans une démarche intellectuelle qui se focalise sur les déconstructions et recompositions discursives, sous les angles de l’histoire culturelle, de la poétique et de la réception des textes. Cette approche critique trouve d’ailleurs en Marcel Schwob plus qu’un objet d’étude, un précurseur, tant son écriture apparaît comme le tissage d’une trame inter- et transtextuelle, qui induit une réflexion métalittéraire, notamment sur l’usage des sources.
Plusieurs années se sont écoulées désormais depuis la flambée d’intérêt pour Marcel Schwob au tournant du siècle dernier, marquée par des rééditions (aux Belles Lettres, chez Phébus, chez Garnier-Flammarion), une biographie, deux colloques (en 1998 et 2005), un numéro spécial de la revue Europe (mai 2006) un catalogue d’exposition (2006), plusieurs thèses, la création de la revue annuelle Spicilège – Cahiers Marcel Schwob, qui ont permis d’examiner scientifiquement une œuvre peu étudiée jusque-là, notamment au prisme de la critique des sources, du contexte, des thèmes ou des structures. Pourtant, la plupart de ces travaux circonscrivent un objet ou un ouvrage précis et, s’ils remarquent souvent une singularité insolite, c’est sans l’aborder de front ni la questionner en profondeur. Quelques articles peuvent cependant nourrir une réflexion sur le trouble :
 Daniel Madelénat, « Marcel Schwob et le défi de l’ambiguïté », L’Ambiguïté. Actes du colloque de Clermont-Cologne, 1984 ;
 Michel Viegnes, « Marcel Schwob, une écriture plurielle », Marcel Schwob d’hier et d’aujourd’hui, 2002 ;
 Christian Berg, « Signes de signes. Marcel Schwob et le rapport mystérieux des signes », Marcel Schwob d’hier et d’aujourd’hui, 2002.

S’inscrivant dans ce sillage, la journée d’étude du mardi 6 juin 2023, organisée par l’Institut d’Histoire des Représentations et des Idées dans les Modernités, UMR-CNRS IHRIM 5317, à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne, en concertation avec la Société Marcel Schwob, et consacrée à l’écriture du trouble chez Marcel Schwob, invite à prendre en compte la multiplicité, l’hybridité, la polyphonie, la mixité des œuvres et à se pencher sur des textes moins commentés car ressentis comme des éléments dissonants ou étrangers à l’œuvre entier. Il serait souhaitable de privilégier, sans exclusive, les deux premiers recueils de contes, Spicilège, Mœurs des diurnales, la critique littéraire, la correspondance intime (Voyage à Samoa et autres lettres à Marguerite Moreno conservées à la Bibliothèque nationale de France). On veillera également à prendre en compte le statut du lecteur, non seulement en analysant le trouble qui se fait en lui, mais en l’envisageant aussi comme lector in fabula, interprète nécessairement requis d’un texte énigmatique.

Ainsi, en s’appuyant sur les notions de brouillage, d’entre-deux, de fluidité, d’indétermination ou d’« indécis », pour reprendre un terme verlainien tiré de l’« Art poétique », on pourra réexaminer la singularité d’une œuvre dont le caractère troublant nous semble aujourd’hui révélateur de sa modernité. (...)

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À la lecture de Marcel Schwob (1865-1905), « le trouble subsiste », indique Claude Cahun, artiste et nièce de l’écrivain, avant d’ajouter : « Il portait en lui un étrange et troublant univers ». Trouble, l’œuvre de Schwob l’est assurément, par son aspect, opaque et mouvant, par son effet, dérangeant et intriguant. Mais cette journée d’étude, Marcel Schwob, écrivain du trouble, postule que, loin d’être un obstacle obturant l’analyse, le trouble, dans toutes les acceptions du terme – ce qui voile, confond, altère, menace, indispose, émeut... et transforme –, ouvre une voie pour comprendre en profondeur les façons dont la production littéraire schwobienne déjoue les attentes, détourne les formes, mélange les héritages, brouille les identités et fait vaciller les certitudes. Œuvre troublante, vision troublée, univers trouble... comprendre toutes les implications de cette notion de trouble incite à s’intéresser aux normes et à leurs contournements, à la mise en défaut des critères de reconnaissance, aux déplacements des lignes qui dessinent possiblement de nouvelles significations, ou en révèlent vertigineusement l’absence.
Les dix communications de cette journée d’étude s’inscrivent ainsi dans une démarche intellectuelle qui se focalise sur les déconstructions et recompositions discursives, mais sous différents angles : l’histoire culturelle, le comparatisme, la linguistique, la poétique ou la réception des textes. Cette approche critique trouve d’ailleurs en Marcel Schwob plus qu’un objet d’étude, un précurseur, tant son écriture apparaît comme le tissage d’une trame transtextuelle, qui induit une réflexion métalittéraire, notamment sur l’usage des sources. Seront abordées des questions aussi diverses que celles des identités ou des désirs, du rôle de l’Histoire, de la langue ou des savoirs, souvent en rapport avec la fiction. Plus spécifiquement, des œuvres seront également soumises à l’analyse, comme La Croisade des enfants, Cœur double ou Vies imaginaires.

COMITÉ SCIENTIFIQUE
Olivier BARA (Université Lumière Lyon 2, UMR IHRIM)
Bruno FABRE (Président de la Société Marcel Schwob)
Stéphane GOUGELMANN (UJM Saint-Étienne, UMR IHRIM)
Agnès LHERMITTE (Université Bordeaux Montaigne, UR Plurielles)
Gérard PEYLET (Université Bordeaux Montaigne, UR Plurielles)
Jean-Marie ROULIN (UJM Saint-Étienne, UMR IHRIM)
Évanghélia STEAD (Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, CHCSC)