Orages, Littérature et culture 1760-1830 n° 23, 2024 : « Écrire les monuments »


Directeurs de la publication :
Olivier BARA (jusqu’en 2022)
– Jean-Christophe IGALENS (depuis 2023)
Secrétaire d’édition : Isabelle TREFF (depuis le n° 10)
Préparatrice de copie : Élisabeth BAÏSSE (depuis le n° 19)
Éditeur : Association Orages
Diffuseur : Atlande
Périodicité : annuelle
Année de création : 2002
ISSN 1635-5202
e-ISSN 2823-2801
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Description

Si la guerre que Victor Hugo déclare aux « démolisseurs » du patrimoine architectural français est demeurée célèbre, la défense des monuments par la plume n’est pourtant pas un phénomène nouveau. Elle s’enracine dans l’intérêt croissant qui naît, au XVIIIe siècle, pour les édifices anciens, les œuvres d’art du passé et les antiquités. La célèbre méditation d’Edward Gibbon sur les ruines de la Rome antique, qui évoque les différents sacs de la ville par les Goths et les Vandales et qui lui inspire son Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain, traduite en 1812 par Guizot, trouve un sinistre écho dans les destructions d’édifices et d’œuvres d’art qui ont lieu pendant la décennie révolutionnaire. Qu’elles soient la conséquence de guerres (guerre de Cent ans et guerres de Religion notamment) ou de décisions royales concertées (vente de domaines royaux, mise en gage et fonte de regalia), de telles démolitions sont fréquentes durant la période moderne et n’émeuvent que quelques érudits. Mais à la fin du XVIIIe siècle, face aux destructions commises par les révolutionnaires, les réactions se font plus vives : en témoignent les nombreux appels à la protection des monuments à la tribune de l’Assemblée, les rapports sur le vandalisme portés par l’abbé Grégoire ou encore les objections indignées que suscite, sous le Directoire, l’accaparement des œuvres d’art lors des campagnes d’Italie et d’Égypte (Lettres à Miranda sur le déplacement des monuments de l’art de l’Italie, rédigées par Quatremère de Quincy en 1796).
Cette volonté de préserver les édifices et les objets d’art qui étaient jadis la propriété de la Couronne, et que viennent grossir les biens de l’Église, puis ceux des émigrés, confisqués en 1789 et 1792, s’accompagne d’une législation nouvelle, qui engage le rôle de l’État. Peu à peu, celui-ci est invité à se substituer au mécénat privé des collectionneurs et des amateurs d’art d’Ancien Régime pour assurer la conservation – et l’accessibilité – des monuments et des œuvres d’art qui constituent désormais le patrimoine national. La création de musées nationaux participe de cette dynamique : celle du Louvre en 1793, puis celle du Musée des Monuments français dans le couvent des Petits-Augustins, en 1795, administré par Alexandre Lenoir, l’auteur du Musée des monuments français ou Description historique et chronologique des statues en marbre et en bronze, bas-reliefs et tombeaux des hommes et des femmes célèbres, pour servir à l’histoire de France et à celle de l’art, qui rend compte des « monuments échappés à la hache des destructeurs et à la faulx du temps ».
C’est en fait au moment où s’invente la notion moderne de littérature, appréhendée dans son rapport à l’histoire et à la géographie, qu’apparaît la conscience nouvelle d’un patrimoine national qu’il convient de préserver, attendu qu’il est le reflet de l’histoire d’un peuple et la propriété de tous les citoyens. Rien de surprenant donc à ce que les écrivains soient les plus enclins à mettre leur plume au service de la défense des objets et des édifices du passé. Comme le notent Jean-Pierre Babelon et André Chastel, l’expression « monument historique » apparaît pour la première fois dans les Antiquités nationales ou Recueil de monuments, qu’Aubin-Louis Millin présente à l’Assemblée en 1790, et désigne non seulement les monuments, « les tombeaux, inscriptions, statues, vitraux, fresques, etc. tirés des abbayes, monastères, châteaux et autres lieux devenus domaines nationaux », qui portent la trace du passé, mais aussi « tout ce qui peut fixer, illustrer, préciser l’histoire nationale » (BABELON et CHASTEL 1994, p. 71). De tels ouvrages consacrés à l’inventaire et la description, souvent très détaillée, du patrimoine monumental favorisent l’essor d’une conscience nationale.
Ce numéro se propose donc d’approfondir les liens étroits qu’entretiennent littérature et monuments, leur portée esthétique, mais aussi politique et idéologique. Il cherchera à comprendre comment l’intérêt pour les monuments du passé que manifestent les écrivains (philosophes, critiques d’art, historiens, romanciers, dramaturges et poètes), à travers des formes d’écriture variées, contribue à forger une conscience collective du patrimoine, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Il prendra pour point de départ la découverte et la diffusion de Winckelmann en France, dès 1755-56 (avec des résumés-traductions de ses Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques dans la peinture et la sculpture) qui suit de peu les premières fouilles menées à Pompéi à l’initiative de Charles III d’Espagne, pour courir jusqu’à la création par Guizot, en 1830, du poste d’inspecteur général des monuments historiques, qu’occuperont successivement deux hommes de lettres : Vitet, l’auteur des Barricades, et Mérimée, dont les notes de voyage, les essais, la correspondance ou encore les œuvres narratives portent l’empreinte de son intérêt pour le patrimoine.

Les contributions à ce numéro s’attacheront donc à examiner les modalités d’écriture des « monuments historiques », édifices et œuvres d’art, dans une perspective globale et transdisciplinaire, fidèle à l’esprit de la revue Orages. Plusieurs pistes pourront être explorées afin de parcourir des corpus variés et d’embrasser des points de vue divers :

Dans la tourmente, ou l’urgence d’écrire les monuments

 L’écriture des monuments, souvent marquée par l’urgence et l’actualité, tente ordinairement de conjurer deux périls, l’un idéologique, celui du vandalisme, l’autre économique, celui de la vente des biens culturels et des œuvres d’art (POMMIER, dans NORA, 1997). Les débats autour de l’iconoclasme et du vandalisme, qui s’étendent sur l’ensemble de la période mais acquièrent une portée plus nettement politique sous la Révolution, pourront ainsi être étudiés, de même que les réactions que provoquent les déplacements d’œuvres d’art durant les conquêtes napoléoniennes.
 L’émergence des notions de « patrimoine » et de « monuments historiques » pourra également être interrogée à l’aune de textes juridiques, politiques ou administratifs, la nécessité de défendre le patrimoine s’imposant progressivement par le biais de discours de députés. Dans son Second rapport sur le vandalisme, présenté à une séance de brumaire an III, l’abbé Grégoire suggère notamment de mettre « sous la sauvegarde de la loi tous les monuments de la science et des arts » et d’« arrêter les destructions », dénoncées comme des crimes de « l’esprit contre-révolutionnaire », de la « barbarie » et de l’« ignorance ».

Raconter le présent à travers les monuments du passé et de l’ailleurs

 Le rapport au passé – et au présent – pourra être étudié à travers la place faite aux monuments anciens, ceux de l’Antiquité gréco-latine, et aux monuments de l’histoire plus récente, tels les édifices gothiques, qui ne sont plus considérés comme des lieux de culte ordinaires, mais comme des témoignages, précieux, du passé (voir notamment le Mémoire sur l’architecture gothique de Soufflot ou les Observations sur l’architecture gothique de l’abbé Laugier qui se risque à des propositions hasardeuses ; puis ceux des historiens de la période romantique : Guizot ou Michelet, pour qui « l’histoire de France s’inscrit de façon irremplaçable dans les architectures » (BABELON et CHASTEL 1994, p. 42).
 Quelles descriptions, quelles analyses de ce patrimoine matériel trouve-t-on dans la production littéraire et critique de la période :
o dans les journaux intimes, les mémoires et les récits de voyage, qui permettent d’envisager une perspective globale et européenne (voir par exemple les Voyage en Sicile et Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte : pendant les campagnes du général Bonaparte de Vivant Denon, ou bien le Voyage en Italie de Chateaubriand) ;
o dans les romans (tels que Corinne ou l’Italie de Germaine de Staël, qui joue un rôle matriciel, comme plus tard Notre-Dame de Paris pour l’architecture gothique) ;
o dans les pièces de théâtre (La Tour de Nesle de Dumas par exemple) ;
o dans les écrits sur l’art et les traités d’architecture (ceux de Ledoux et de Boullée notamment) et les projets architecturaux ;
o dans la littérature utopique ou d’anticipation (comme L’An deux mille quatre cent-quarante : rêve s’il en fut jamais de Louis-Sébastien Mercier).
Quels monuments, quelles œuvres y sont privilégiés ? et quels lieux (le voyage en Orient se substituant progressivement au voyage en Italie) ? suivant quelles modalités et à quelles fins ?

• Quelles poétiques pour les monuments ?

 Après la « poétique des ruines », bien étudiée depuis l’ouvrage fondateur de Roland Mortier (MORTIER 1974), peut-on parler plus largement de poétique des monuments ?
 Comment s’épanouit, au tournant des deux siècles, une « rhétorique du monument » (LEFAY 2015), dont le principal support est l’inscription, auquel ressortit d’ailleurs le système de hiéroglyphes déchiffré par Champollion en 1822 (voir la Lettre à M. Dacier relative à l’alphabet des hiéroglyphes phonétique).
 Comment l’écriture des monuments, plane et linéaire, permet-elle de rendre compte du visuel monumental ? Dans quelle mesure renouvelle-t-elle les procédés habituels de la critique d’art (ekphrasis et hypotypose notamment) ? Quelles émotions spécifiques cherche-t-elle à éveiller@ses lecteurs/lectrices ? Quelle « énergie » se dégage de cette nouvelle poétique ?
 Dans quelle mesure le geste d’écriture peut-il se définir par rapport au geste artistique et architectural ? Comme le monument historique, l’écrit permet de fixer une trace et d’enclore une mémoire. Or c’est à cette période et sous la plume d’écrivains soucieux du patrimoine que la métaphore de l’œuvre-monument, héritée de l’Antiquité, est réinvestie.

Les propositions d’articles, qui n’excéderont pas une page et seront accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, sont à envoyer, au plus tard le 20 novembre 2023, aux deux adresses suivantes : t.julian univ-lyon2.fr ; virginie.yvernault sorbonne-universite.fr. Une réponse sera donnée début décembre. Les contributions retenues (entre 30 000 et 35 000 signes) devront être remises aux deux responsables du dossier pour le 15 avril 2024, délai de rigueur.


« La » revue Orages est éditée par l’association Orages, association loi 1901 qui s’est fixé pour but « la promotion et l’édition des écrivains et des artistes entre les Lumières et le romantisme ». Cette revue « s’intéressera, sans préjugé idéologique ou méthodologique, à la période s’étendant de 1760 à 1830 environ, c’est-à-dire à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles. D’essence littéraire, elle sera néanmoins ouverte aux disciplines voisines (histoire, philosophie, sciences humaines en général) ».

Numéros publiés avec le soutien de l’IHRIM

Orages 15, 2016
Orages 16, 2017
Orages 17, 2018
Orages 18, 2019
Orages 19, 2020
Orages 20, mars 2022
Orages 21, déc. 2022