Pierre CAUSSE « Météores en scène. De la représentation du temps qu’il fait à la création de l’atmosphère (1827-1947) »

Le jury est composé de :
Roxane MARTIN, professeure à l’université de Lorraine, rapportrice
Marco CONSOLINI, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle, rapporteur
Olivier BARA, professeur à l’université Lyon 2, directeur
Isabelle MOINDROT, professeure à l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis
Jean-Claude YON, directeur d’études, École Pratique des Hautes Etudes

Résumé :
Cette thèse interroge les fonctions, les significations et les conséquences de la présence des phénomènes météorologiques en scène, du Romantisme aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, et montre que les météores constituent des objets transversaux qui engagent toute la fabrique théâtrale, de ses aspects les plus matériels jusqu’à sa conceptualisation. Le corpus mobilisé comprend une centaine de spectacles représentés sur les différentes scènes théâtrales et lyriques françaises. Livrets et textes dramatiques, archives de mise en scène, propos de critiques et d’artistes, documentation technique, discours sur la météorologie permettent de mener une étude dramaturgique des météores et de relire l’histoire de la mise en scène.
L’analyse dramaturgique détaille tout d’abord des scènes-types issues du mélodrame : tempêtes en mer, assassinats par temps d’orage, chutes de neige sur les pauvres gens et insinuations du vent sont autant d’occasions par lesquelles le ciel météorologique se constitue en instrument de persécution. Ensuite, à partir de la fin du XIXe siècle, de nouvelles dramaturgies atmosphériques apparaissent, convoquant des phénomènes météorologiques discrets et continus (pluie ininterrompue, chaleur, lourdeur de l’air avant l’orage…) : à la confrontation ponctuelle aux intempéries se substitue la présence diffuse d’un air environnant, qui influence l’action et confère aux œuvres dramatiques une unité d’atmosphère. L’étude de cette mutation permet d’envisager l’élaboration d’un modèle atmosphérique du drame : s’opposant au modèle mécanique prévalant jusqu’alors, celui-ci suppose un enchaînement des actions fondé sur l’implicite, fonctionne par associations d’idées plutôt que par relations de cause à effet, et favorise l’appréhension des rapports entre l’environnement et l’état physique et psychique des personnages. Si l’usage dramatique des météores change, ceux-ci continuent toutefois d’imposer l’image d’une nature menaçante qui pèse sur les êtres humains. Les arts de la scène participent ainsi à former les sensibilités au temps qu’il fait, devenant le relais de représentations culturelles du ciel et de l’atmosphère, empruntées, entre autres, à un imaginaire de l’épreuve épique, aux procédés inquiétants du roman gothique, au développement de la météosensibilité ou encore aux discours hygiénistes sur les effets du climat dans le contexte colonial.
Les moyens visuels et sonores employés pour représenter les phénomènes météorologiques ne cessent de se perfectionner dans la période étudiée. Mais ces artifices se voient reprocher dès la première moitié du XIXe siècle de détourner l’attention du public. Surtout, les météores interrogent le pouvoir et l’autorité du metteur en scène : celui-ci, assimilé au fil du XIXe siècle à un Jupiter tapi en coulisses utilisant les effets de la nature pour persécuter les personnages, est accusé d’exercer un pouvoir arbitraire. Dispersion de l’attention et affirmation de la puissance déstabilisante de la mise en scène concourent à une crise de l’illusion. La résolution de cette crise à partir des années 1890 est liée à la mutation des usages dramatiques des météores, à la construction d’une nouvelle relation entre scène et salle et à la redéfinition du metteur en scène comme créateur d’atmosphère, pratiquant l’art de la dissimulation de ses opérations. L’atmosphère, oscillant entre sens concret et sens métaphorique, devient pour les artistes une notion servant à nommer l’ambition d’unifier la représentation, de développer l’attention à l’autour, et de rendre sensible à la présence active de l’air.
À travers l’ensemble de ces perspectives, cette thèse rejoint les préoccupations des humanités environnementales et entend contribuer à une histoire des représentations de la nature.

Mots-clés : Théâtre ; Dramaturgie ; Metteur en scène ; Mise en scène ; Météorologie ; Atmosphère ; Machinerie ; Technique théâtrale ; Illusion ; Histoire des sensibilités ; Représentation de la nature ; Écologie