Port-royal, la littérature et le cinéma aux XXe et XXIe siècles


Organisation :
Constance Cagnat-Debœuf (Université Paris-Sorbonne, CELLF),
Tony Gheeraert (Université de Rouen, Cérédi) et
Laurence Plazenet (Université Clermont-Auvergne, Centre international Blaise Pascal, IHRIM)

Argument

Détruit depuis plus de trois siècles, Port-Royal n’a pas été anéanti. Louis XIV voulait qu’il ne demeurât rien du monastère : ses religieuses et le groupe réuni autour d’elles – Solitaires, grandes dames, artistes – continuent de rayonner à travers leurs œuvres ou les mythes auxquels leur singulière communauté a donné lieu. Écrivains et cinéastes ont été exceptionnellement nombreux aux XXe et XXIe siècles à mettre en scène l’abbaye et les grandes figures qui ont marqué son histoire. L’hostilité bien connue de Port-Royal envers les fictions et les images abusives n’a retenu ni les romanciers ni les réalisateurs : au contraire, ils lui ont souvent offert sa plus belle illustration depuis le Port-Royal (1840-1859) de Sainte-Beuve.
Ce paradoxe invite à la réflexion. On peut aussi plus généralement s’interroger sur la persistance d’une fascination qui ne se cantonne pas aux commentaires universitaires, mais touche, semble-t-il, au premier chef les créateurs de fiction. Au siècle dernier, les plus grands éprouvèrent cette invincible attraction : Charles Péguy, François Mauriac, Georges Bernanos, Julien Green ou Henry de Montherlant ont tenu à lier pour toujours leur nom au monastère de la vallée de Chevreuse, au « jansénisme », ou à Pascal. Qu’en est-il d’André Gide ? De Paul Valéry ? D’Albert Cohen lui-même ? Des analyses rigoureuses restent à mener. Plus près de nous, Jean-Philippe Toussaint ou Pascal Quignard continuent à trouver, de façon bien différente, dans un courant spirituel tricentenaire, dans les hommes et femmes qui l’ont fait vivre, une source d’inspiration. La contestation même de Port-Royal se révèle féconde : Lydie Salvayre l’a brillamment prouvé avec La Puissance des mouches. Il est aisé de multiplier les références dans la littérature de langue française. Convient-il de s’en tenir là ? Existe-t-il une influence de Port-Royal à l’étranger ? T. S. Eliot, Léon Chestov, Peter Handke, un cinéaste comme Béla Tarr, invitent à scruter des terrae incognitae peut-être fortes de surprises remarquables. La cartographie port-royaliste, souvent pascalienne, du cinéma en constitue une sans doute. Elle mérite une attention intrinsèque.

Que représente donc Port-Royal pour les écrivains et les cinéastes qui s’y confrontent ? L’image que films ou romans en renvoient est rien moins qu’univoque. Chez Bernanos, dont toute l’œuvre est hantée par la puissance du mal, le Journal d’un curé de campagne s’achève sur l’affirmation : « Tout est grâce ». Robert Bresson se souvient de cette leçon ultime. Il prête ces derniers mots au curé d’Ambricourt à la fin de son adaptation cinématographique du roman : ils sont prononcés en voix off, alors que sur l’écran une haute croix rappelle invinciblement le scapulaire des religieuses de Port-Royal. Léon Daudet, déjà, inscrivait dans la tradition pascalienne le Soleil de Satan, comparant le récit, « nu et grave », de la rencontre avec le diable, à « une allée de Port-Royal des Champs ». Après la Seconde Guerre mondiale, c’est le symbole d’une résistance à l’oppression injuste des hommes qu’Henry de Montherlant célèbre dans sa pièce Port-Royal. François Mauriac, vers la même époque, et malgré les réserves doctrinales qu’il éprouve à l’égard du « jansénisme », trouve néanmoins dans Pascal et Port-Royal l’occasion d’un ressourcement. Au milieu de l’océan de destruction nihiliste où se trouve plongé son siècle, il revendique sa « dette envers Pascal » au cours d’une célèbre conférence en Sorbonne. Pascal, dit-il, est « l’écrivain à qui je dois le plus et qui m’a le plus marqué [...] » : « Le feu d’une seule nuit de Pascal aura suffi à nous éclairer durant toute notre vie ». Emblème de la liberté de conscience, lumière dans un univers enténébré, le Pascal des écrivains est encore pour beaucoup d’entre eux le héraut de l’antimodernité. Ainsi en va-t-il de Charles Péguy, qui considère l’auteur des Pensées comme un remède au « monde moderne » qu’il exècre. Le cinéma, avec les moyens qui lui sont propres, prend aussi volontiers Pascal pour boussole morale dans un monde désorienté : le fragment « Infini-Rien », celui qui énonce l’argument du « pari », paraît constituer « l’impératif catégorique [du] système moral » d’Éric Rohmer, non seulement dans les Ma Nuit chez Maud, mais également dans le Conte d’hiver et même dans ce Conte d’été d’allure si frivole. Roberto Rossellini, de son côté, fait se côtoyer l’histoire et la légende dans son Blaise Pascal, biopic très personnel où l’auteur des Provinciales devient le témoin d’un procès en sorcellerie.

Ces relectures se doublent de réappropriations formelles qui nous tendent autant de miroirs imaginaires. L’éclatement formel et générique qui caractérise les Fragments sur la grâce de Vincent Dieutre, entre documentaire et fiction intimiste, tend à déconstruire la représentation conventionnelle et parfois sclérosée du monastère, renouvelant son image. Entretient-il aucune relation avec les chapelets narratifs qu’égrène Laurence Plazenet dans son roman La Blessure et la soif  ? Qu’est-ce, parlant des disparus de Port-Royal, que « rendre à ces voix leur fulgurance » ? Le monastère, érigé en refuge pour passions incandescentes, montrant le chemin brûlant d’un absolu, conduisant ses créatures quelque part entre le ciel et l’abîme, entre le hurlement des corps et le silence de Dieu, ou bien foyer d’une liberté de conscience dressée contre l’arbitraire des hommes, antichambre ironique de déliaison sociale, est-il encore école d’esthétique ? Y a-t-il un style propre à ces « images intérieures » (Nicole) de Port-Royal ?

Les contributeurs pourront donc s’interroger aussi bien sur l’image de Port-Royal dans un matériau, dont seule une esquisse sommaire est ici proposée, ses inscriptions formelles, que sur les raisons qui conduisent les créateurs à se tourner vers cet épisode tourmenté de l’histoire littéraire française. Les projets de communications, limités à 300 mots et accompagnés d’un C.V., seront envoyés avant le 15 février 2019 à Laurence Plazenet, Tony Gheeraertet Cagnat Deboeuf.