Revue internationale de philosophie Giornale Critico di Storia delle Idee. « Libertinisme : Philosophie et ​​écriture », sous la dir. de Nicole GENGOUX et Valentina SPEROTTO

Voir l’appel (en italien, anglais et français) et les instructions pour les auteurs.
Date limite de livraison des articles : 31 mars 2022
Numéro dirigé par :
Mme Nicole GENGOUX, IHRIM - ENS de Lyon ;
Mme Valentina SPEROTTO, UniSR.

Axe(s) de réflexion

Déjà René Pintard dans son étude fondamentale Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle constatait la difficulté de distinguer entre l’expression d’un fidéisme sincère et celle d’un fidéisme tactique, exprimé pour dissimuler des propos bien plus risqués. Les auteurs que Pintard nomme des « libertins érudits » du XVIIe siècle, étaient maîtres en hypocrisie par nécessité. La question se pose aussi pour la pensée du siècle suivant, le siècle de la Raison et de la diffusion des Lumières, où la liberté d’expression n’était encore qu’une exigence, et où les systèmes de censure en vigueur dans les différents États obligeaient souvent les penseurs à une publication clandestine ou sous un faux nom et avec un faux lieu de publication.
L’un des aspects qui caractérisent les œuvres des penseurs libertins est donc la tension entre le besoin d’exprimer leur pensée philosophique et celui de la dissimuler afin d’éviter les coups de la censure. Codes connus de cercles restreints, implications et doubles sens, allusions et références obliques, jusqu’à des formes d’autocensure rendent les textes des libertins particulièrement obscurs. Au XVIIe siècle le phénomène est plus marqué car l’interdit est plus sévère ; au XVIIIe siècle les liens entre la censure et l’autorité deviennent moins étroits et les artifices, comme l’impression d’ouvrages à l’étranger, sont relativement plus faciles à mettre en œuvre. Pourtant tout n’est pas autorisé en matière de religion et de politique : aussi, l’usage de l’ironie, les formes d’allusion et d’insinuation méritent-ils également d’être étudiés sous cet angle. De plus, les choix stylistiques, qui se traduisent parfois par un réel dépassement des genres littéraires traditionnels de la philosophie, constituent un aspect crucial d’une pensée qui, bien que cohérente, n’a pas le caractère systématique propre à certaines formes de philosophie scolastique et du rationalisme moderne.
Malgré la nécessité de lire entre les lignes d’une écriture dissimulatrice, c’est grâce à elle que les libertins ont cherché et créé un espace pour laisser échapper, fût-ce de manière indirecte et circonscrite, leur propre remise en cause libre des dogmes de la religion, les thèses matérialistes et athées, les formes de scepticisme, éléments de protestation contre le pouvoir politique. L’obliquité et l’obscurité du style ont permis cette liberté de critique qui est avant tout la liberté de mentir au pouvoir, une forme d’insubordination qui est un élément clé d’une pensée philosophique capable d’activer, éventuellement, d’autres formes de libération dans la société.
L’érudition qui caractérise le libertinage, érudition philologique et historique, mais aussi médicale, mathématique, physique, fait plus que jamais de la philosophie une œuvre collective, même lorsqu’elle se déroule en dehors des institutions, lieux de confrontation et d’échanges. Le milieu particulier auquel s’adressent les “libertins” est celui des cercles intimes ou des salons, de l’Académie des frères Dupuy à la coterie holbachique : ces petites sociétés se regroupent souvent autour d’une personnalité importante et influente, mais les formes d’échange et de collaboration suivent aussi d’autres voies. L’échange constant entre penseurs est visible dans les correspondances, comme dans les œuvres elles-mêmes, de manière discrète ou par des références explicites entre eux, constituant par là une bibliothèque libertine idéale.
Toutefois, bien qu’il soit possible d’identifier certains éléments caractéristiques, il n’est probablement pas possible de faire du libertinage un courant philosophique proprement dit. Les termes « libertin » et « libertinage » doivent être mis en question. En effet, ils sont introduits par Pintard et les auteurs désignés comme “libertins” ne se déclaraient pas eux-mêmes “libertins”. Mais de nombreux éléments communs (critique de la religion, recours aux sources philosophiques antiques, morale naturelle) ne peuvent-ils donner à la catégorie de “libertinage” une cohérence philosophique ? De plus, la compréhension de cette catégorie, appliquée à la première modernité, peut évoluer : ne peut-elle prendre un sens renouvelé de nos jours ?
Les auteurs sont invités à proposer des contributions visant à explorer les différents aspects de la pensée libertine avec une attention particulière aux éléments stylistiques. Elles porteront sur la période qui va du début du XVIIe à la fin du XVIIIe siècle, et il est demandé une référence particulière aux macro- thèmes suivants :

  • Définition du libertinage philosophique : histoire, définitions, lecture critique.
  • Le libertinage comme philosophie critique : limites d’expression et problèmes d’interprétation, nouvelles propositions exégétiques.
  • Analyse des genres littéraires, des aspects stylistiques et des stratégies d’écriture comme moyens de dissimulation et d’expression de la pensée philosophique libertine.
  • Formes de collaboration et de travail collectif entre philosophes libertins : analyse d’ouvrages et de correspondances, citations indirectes et utilisation de textes d’autrui, bibliothèque libertine.