« En toutes sortes communiquer le plus secret de sa science » : Laurent Joubert, médecin et écrivain (1529-1582)

Ce colloque sera la première manifestation scientifique internationale et interdisciplinaire consacrée à une figure importante de la Renaissance française. Élite d’une élite, Laurent Joubert appartient à la catégorie des médecins écrivains, chez qui la publication imprimée, en latin et en français, accompagne la pratique thérapeutique et l’enseignement universitaire afin d’asseoir un prestige social et symbolique. Éminent professeur à la faculté de médecine de Montpellier dont il devient chancelier en 1573, médecin d’Henri III et d’Henri de Navarre, Joubert publie à partir de 1560, à Lyon, Paris ou Bordeaux, une œuvre qui transcende en permanence les clivages disciplinaires et le cloisonnement des styles.
Le travail académique de commentaire et d’annotation du canon médical (remise au jour du Guidon de Chauliac, notes sur Galien, pharmacopée, traités sur la peste, les plaies, les bains…) côtoie des entreprises originales, comme un traité des passions ( Traité du Ris, 1560 et 1579) auquel est joint une réflexion théorique sur la langue vernaculaire ( Dialogue sur la cacographie française), ou une enquête « ethnographique » ( Erreurs populaires au fait de la médecine et régime de santé, 1579). Véritable best-seller en son temps, ce traité à la fois virulent et enjoué forge une nouvelle notion, celle d’« erreur populaire », tout en proposant une véritable philologie ethnologique, qui prend le relais de l’analyse critique des textes anciens. L’ouvrage opère la médiation entre culture populaire et culture savante, et établit des passerelles entre des registres hétérogènes, expérimentant ainsi des façons nouvelles de raconter la médecine en français, en fonction des attentes de nouveaux publics.
Ces innovations ne vont pas sans risques, contribuant paradoxalement à la renommée de Joubert et à son inscription dans l’histoire littéraire : une violente polémique se déclenche autour des Erreurs populaires, mettant en cause les propos « obscènes » de l’auteur (en une des premières occurrences du terme en français), tandis que le succès du livre donne naissance à un genre nouveau à l’échelle européenne. Parfaitement intégré dans les sphères du pouvoir institutionnel et intellectuel, et peut-être précisément à cause de cela, le protestant Joubert apparaît donc également comme une figure « hétérodoxe », critiquée selon des critères qui peuvent être stylistiques, moraux ou scientifiques.
C’est donc autour de cette figure complexe, à la fois reconnue et contestée, que ce colloque réunira des spécialistes d’histoire de la médecine, de la littérature, de la langue, des pratiques sociales, autour de quatre axes principaux : savoirs et vulgarisation (définition des publics, transferts linguistiques, catégorie du populaire, usage du cabinet de curiosités) ; la réflexion sur la langue (lexiques, styles, orthographe) et la conscience littéraire (genres, intertextes) ; le rôle des médiateurs (élèves, famille, libraires…) ; réception et mise en débat.
Cette rencontre sera également l’occasion d’initier, dans le cadre du projet « Une archéologie de la douleur » (dir. Raphaële Andrault), une entreprise d’édition numérique de textes de Joubert concernant cette problématique, qu’il aborde dans le contexte de la chirurgie comme dans celui des « erreurs populaires ». Ce travail d’édition numérique servira de cadre de formation de doctorants et de futurs doctorants à la philologie numérique (établissement du texte, établissement d’un apparat critique, encodage et formatage HTML, XML et TEI).