La négation comme ensemble d’opérations mentales marquées dans l’énoncé

Conférence de Claude Muller (U. Bordeaux 3) dans le cadre du séminaire "Négation et style" (IHRIM / Textes & Langue - Passages XX-XXI, ENS Lyon / U. Lyon 2).

Présentation / Abstract :
La négation n’a pas de sens représentationnel. Les tentatives pour lui donner une interprétation positive basée sur des concepts comme l’absence, l’altérité ou encore le renvoi à un complémentaire logique, ne débouchent pas sur une description qui puisse la subsumer. L’analyse illocutoire ne conduit pas forcément à y voir une opération mentale en termes d’acte de langage autonome, à l’égal de l’assertion. Enfin dans les interactions avec des contextes les plus divers, on constate qu’elle n’est utilisable que dans une partie somme toute assez limitée d’énoncés, ceux qui sont mal formés ou jugés à la fois raisonnables et inexacts. La sémantique de la phrase négative est souvent assez désespérante : le plus souvent (mais hors contexte), la négation ne permet pas d’inférence sur la situation réelle décrite, ne précise pas sur quel segment d’énoncé elle porte, ni même pourquoi elle est utilisée.
La perception est au cœur de la compréhension de la négation : la phrase négative ne permet généralement pas de décrire le réel. Les mots négatifs, comme les indéfinis, ne référent pas à des objets précis : personne, rien, ne décrivent pas des objets du monde, sinon indirectement grâce à des contextes particuliers. Le lexique est structuré de telle façon que les concepts sont décrits sur ce qui est le plus aisément perceptible, le plus souhaitable ou les plus ordonné ; les antonymes négatifs sont marqués. Il s’y ajoute, probable conséquence de cela, que les mots perçus comme négatifs sont aussi assez facilement dépréciatifs. La négation est facilement associée à des perceptions pessimistes qui peuvent aboutir à des états mentaux pathologiques, ou à des attitudes sociales jugées majoritairement condamnables.
Dans l’analyse des énoncés, le lexique autour de la négation est marqué par des adaptations contextuelles à son emploi, ce qu’on a appelé la « polarité négative ». Le monde négatif est un monde à référence vague ou impossible, aussi bien en termes d’identité que de quantité. Le lexique spécialisé (personne, rien, aucun...) va plus loin en formant des séries de termes qui préjugent de l’orientation négative de la proposition où ils figurent. Une évolution majeure du français, dans ce domaine, est la spécialisation de plus en plus marquée de termes simplement indéterminés, comme personne, en mots pleinement négatifs, au-delà des contextes non négatifs à référence indéterminée.
Enfin, la négation est impossible à comprendre sans la perception de ce qu’on appelle la « polyphonie » des points de vue dans les énoncés : elle préside à des confrontations de points de vue, entre ce qui est jugé comme attendu ou cru dans le contexte, et ce qu’en pense le locuteur. Ces phénomènes sont observables facilement, à la fois comme des créations libres, mais aussi parfois comme des séquences plus ou moins grammaticalisées, comme les négations incorporées dans les questions, selon l’orientation souhaitée de la réponse attendue.

Quelques références :
C. Muller, 1991 : La négation en français, Droz.
C. Muller, 2016 : La négation : le « côté obscur » de la référence, effets pragmatiques et conséquences grammaticales, dans : E. Hilgert, S. Palma, P. Frath et R. Daval, Res per nomen V, Négation et référence, Epure, Presses Universitaires de Reims, 121-137.
C. Muller, 2017 : La distribution des indéfinis négatifs du français, Cahiers de lexicologie : La sémantique en France, un état des lieux (II), 193-214.

Organisateurs :
Laurent, Nicolas (ENS Lyon)
Fontvieille Agnès (Lyon 2)

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