Les mots/maux de la Paresse

Organisé par : Isabelle Moreau

Description, résumé

À chaque époque sa paresse. Dans son acception contemporaine, la paresse fait partie de ces catégories que l’on invoque dès qu’il s’agit de régler l’accès au travail. Elle insulte moins les lois de la morale et de la religion que les règles de la production. Elle est aussi éminemment relative, et se définit par rapport à une norme d’activité, celle de l’individu comme celle du corps social. Cette relation privilégiée de la paresse au travail est riche d’une histoire. Elle a donné lieu à diverses approches historiographiques, qu’on ait cherché à faire une histoire des significations accordées au travail, ou qu’on se soit intéressé aux variables culturelles, économiques, politiques et religieuses qui en déterminent pour partie les évolutions. De toutes ces approches, une tradition historiographique, en particulier, mérite d’être mentionnée qui, depuis Max Weber, articule conscience religieuse et comportements économiques et sociaux de la première modernité. Elle s’est notamment attachée aux liens d’affinités entre réformes protestantes et valorisation religieuse du travail ; elle a aussi rapproché mise en ordre du temps et discipline du sujet.
Ces deux journées d’étude ont pour objectif de déplacer les attendus de cette « intrigue » [1], en redonnant à la « paresse » sa polysémie originelle. Aux XVIe et XVIIe siècles, la paresse est une catégorie aux implications multiples : spirituelles, éthiques, médicales aussi bien que philosophiques et culturelles. La paresse relève en effet de la tradition théologique par son lien à l’acédie. Selon les corpus et les auteurs, elle est associée à l’oisiveté, à la nonchalance ou encore à la négligence. Elle se décline en grâce mondaine comme en maladie de l’âme et en vice moral. Nous proposons d’appréhender la paresse comme un « symptôme » au sein de ces différents ensembles signifiants, en prenant la mesure de ses significations historiques et anthropologiques.
Cette rencontre à vocation pluridisciplinaire s’articulera autour de quatre axes :
Paresse et médecine
La paresse fonctionne comme une catégorie régulatrice, à la croisée de l’activité intellectuelle et de ce que l’on pourrait nommer le « comportemental » (ou le physiologique). C’est cette articulation qui nous intéressera ici, qui impose de réfléchir à la paresse en partant de son ancrage dans le corps. On se demandera quelle est la place réservée à la paresse (du malade / de ses humeurs) dans l’exercice de la pratique médicale. Y’a-t-il des maladies propres au paresseux ? Et si oui, quels sont les traitements thérapeutiques proposés ? La critique de la paresse se recommande généralement d’une hygiène de vie, tout en renvoyant à une (bonne) gestion du temps. On examinera les représentations que ces discours sur le corps véhiculent, ainsi que leur dimension idéologique.
Littérature(s) paresseuse(s)
Nous nous intéresserons ici aux représentations littéraires de la paresse. Il ne s’agit pas là de dresser le palmarès des paresseux de l’histoire de la littérature (de Montaigne à La Fontaine, et de Saint-Amant à La Rochefoucault). Il s’agit plutôt de saisir la paresse dans ses représentations, à un moment où l’on assiste à une problématisation renouvelée du loisir lettré et de son contrepoint mondain, l’« honnête loisir ». La question de la libre disposition du temps se doublera ici d’une réflexion sur sa dimension genrée, et sa signification politique et sociale.
Enjeux religieux et moraux
Passe-temps propres et divertissements choisis « pour l’amour des paresseux » prennent à contrevent l’obligation morale d’user de son temps correctement. Si la Renaissance voit l’émergence de la mélancolie, au XVIIe siècle, la paresse a tout du « mal du siècle ». Nous nous intéresserons ici aux implications morales et religieuses de la condamnation de la paresse tant d’un point de vue théologique que sous la plume des moralistes. Il s’agira de revenir aux sources chrétiennes de la notion, désormais envisagée sous l’angle de la culpabilité et de la faute, et d’interroger son lien à l’acédie (le pendant religieux de la mélancolie).
Politique(s) de la paresse
Il semble que tout sépare la paresse comme figure du désordre social (et sa revendication de droit sous la plume de Lafargue) et sa variante socialement valorisée sous l’ancien régime où l’oisiveté est un privilège de la noblesse (susceptible de conférer un ethos, sinon une identité sociale). Nous faisons ici l’hypothèse d’une actualité inattendue d’auteurs du passé qui ne sont pas, ou pas en ce sens, mobilisés par les sciences sociales. Nous aborderons les enjeux socio-politiques de la paresse d’ancien régime, en reprenant à nouveaux frais l’articulation entre paresse et travail, dans son acception contemporaine, en lien avec le travail et la société.

Notes

[1Nous reprenons ici la terminologie de Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971, p. 36.