Théoriser en féministe
Membre IHRIM dans le comité d’organisation : CLOCHEC Pauline. Doctorante en philosophie et ATER à l’École normale supérieure de Lyon.
Le féminisme, d’une part comme pensée critique, et d’autre part comme mouvement collectif visant une transformation sociale, semble pris dans une double tension dès lors qu’on cherche à déterminer son rapport à la théorie. Premièrement, la théorie renvoie à l’abstraction (au sens d’une opération qui isole et généralise), et cette dernière semble difficilement compatible avec l’ancrage du féminisme dans l’expérience ordinaire des femmes. Cette attention au quotidien, qui vise notamment à ne pas occulter les différences – entre femmes et hommes, entre femmes – apparaît précisément comme un frein à la « pulsion de généralité » qui a pour conséquence des universalisations abusives. Si la théorie procède par abstraction, ne risque-t-elle pas d’occulter les diverses manières dont le sexisme s’articule concrètement aux autres rapports d’oppression : hétéronormativité, cissexisme, racisme, validisme, classisme ? L’ancrage dans l’expérience permet de rendre visible et de valoriser des vécus et des savoirs concrets qui ont été niés et relégués dans la « cave ontologique » (Clark, 1976), au profit d’une « masculinité abstraite » (Hartsock, 1983 ; Smith, 1974) ou d’un « masculin neutre » (Mosconi, 1992). Deuxièmement, en tant qu’elle est d’ordre spéculatif, la théorie entre en tension avec la pratique militante et la visée transformatrice des conditions sociales de l’action qui caractérisent la lutte féministe. Un décalage, voire un divorce, pourrait ainsi advenir entre les « intellectuel·le·s » du féminisme (Delphy, 1981) – notamment à travers l’institutionnalisation des études de genre — et les militant·e·s « de terrain ». Ces tensions, loin de constituer un obstacle définitif et de conduire à un rejet massif de la théorie par les féministes, ont au contraire été l’occasion d’une réflexion critique portant sur ce qu’il s’agit d’entendre par « théoriser ». Que cela soit à travers un travail de nomination et de (re)catégorisation pour enrichir les ressources épistémiques nécessaires à la compréhension de l’injustice de genre (Fricker, 2007), à travers une critique de la logique totalisante du « système » au profit d’une théorisation ouverte et exploratoire (Le Dœuff, 1989), ou encore à travers une reprise de la notion de praxis visant à revendiquer à la fois la vertu épistémique de la pratique et la nécessité d’un travail des idées pour nourrir une action efficace (hooks, 1984), la reconnaissance d’un nécessaire double ancrage empirique de la théorie féministe est en jeu. Le soin mis à rendre visible l’invisible et à entendre les voix différentes peut conduire à « perdre ses concepts [et à] retrouver l’expérience » (Laugier, 2010) mais également à évaluer la théorie au regard de ses conséquences pratiques et de ses effets émancipateurs. L’objectif de ce colloque est d’explorer les spécificités de cette « impureté » (Varikas, 2006) du théoriser féministe, toujours en commerce avec son dehors, ainsi que ses manifestations au sein des modèles épistémologiques des différentes disciplines, en abordant plus particulièrement la philosophie et la science politique.
Programme
Mercredi 25 Avril – Université Lyon 3
15 quai Claude Bernard, Lyon 7e. Salles : amphi Huvelin, salle Caillemer
– MATIN (10h-12h30) Conférence plénière : DIANE LAMOUREUX, "S’engager intellectuellement". Amphi Huvelin. Conférencie plénière : ELEONORE LEPINARD, "théoriser en féministe / théoriser le féminisme". Amphi Huvelin.
– APRES-MIDI (14h30-17h45) Ateliers en parallèle : A- "Dépasser les binarités" (salle Caillemer) ; B- "Des archives au terrain : enjeux d’une recherche féministe" (amphi Huvelin) Conférence plénière : MICHELE LE DOEUFF, "Théoriser : une spirale sans fin". Amphi Huvelin.
Jeudi 26 Avril – IEP de Lyon
14 Avenue Berthelot, Lyon 7e. Salles : grand amphi, L103
– MATIN (10h-13h15) Conférence plénière : NASSIRA HEDJERASSI, "Théoriser depuis les marges". Grand amphi. Ateliers en parallèle : C- "Naturalisme et anti-naturalisme" (Grand amphi) ; D- "Qu’est-ce qu’une langue féministe ?" (salle L103)
– APRES-MIDI (15h-18h15) Ateliers en parallèle : E- "L’universalisme en question" (salle L103) ; F- "Théorie et militantisme" (Grand amphi) Conférence plénière : MANY CHRONIQUES, "Entre théorie et pratiques : l’enjeu d’un afroféminisme pragmatique". Grand amphi.
Vendredi 27 Avril – ENS de Lyon
Site Monod, 46 allée d’Italie, Lyon 7e
– MATIN (10h-12h15) Conférence plénière : CORNELIA MÖSER, "Sexualité, rationalité et critique sociale. Des questions et perspectives queer/féministes". Amphi Mérieux. Conférence plénière : NASIMA MOUJOUD, "Théoriser en féministe décoloniale en France". Amphi Mérieux.
– APRES-MIDI (13h45-18h) Ateliers en parallèle : G- "Genre, droit et science politique" (Amphi J) ; H- "Féminisme contre académisme" (salle 1) ; I- "Expérience et positionnement" (salle des thèses). Ateliers en parallèle : J- "Corps et sensorialités" (salle 1) ; K- "Féminismes : réformes ou révolutions ?" (salle des thèses).
Les salles et les bâtiments sont accessibles aux personnes en fauteuil roulant.
Documents à télécharger
- Aff-CollThéoriser-en-féministe (PDF – 666.3 kio)