Amérique(s) poétique(s) entre Ancien Monde et Nouveau Monde


Voir l’ouvrage issu du colloque.

L’espace américain comme nouveau territoire de la fiction de Fontenelle à Chateaubriand

Durant plus de cinq siècles, depuis sa découverte par les Européens, le Nouveau Monde a fasciné les écrivains et les philosophes français. Il les a fascinés d’abord par son éloignement, encourageant une « rupture mentale » avec l’Ancien Continent ; ensuite par une impression d’étrangeté qui, témoignant d’un monde lointain (géographiquement mais aussi culturellement), n’a pas tardé à s’imposer comme un sujet de réflexion. L’étrangeté, ou bien l’altérité incarnée par les Amériques, comportait effectivement, chez les penseurs européens, une remise en question de la nature humaine, des mœurs, de la morale et de la religion traditionnelles. Dans un cadre profondément différent, l’écrivain – et notamment l’écrivain de fictions – se trouvait confronté à sa propre identité, à ses racines comme à ses capacités, appréhendées désormais à travers de nouvelles formes d’écriture : l’« épopée » des conquêtes, l’exotisme et la réflexion sur la nature des « sauvages », offraient à la littérature un imaginaire fécond, peuplé de mythes mais aussi de tensions.
Ce sont ces mêmes tensions, suggère Gilbert Chinard, qui, à partir du XVIIe siècle, auraient investi, en France, les genres fictionnels traditionnels, en infléchissant les anciens paradigmes (L’Amérique et le rêve exotique dans la littérature française au XVIIe et au XVIIIe siècle, 1913).
Appelés à mettre en scène un espace inédit, l’épopée et le roman, par exemple, se transformèrent, brouillant souvent leurs codes. Face à l’irruption de thèmes nouveaux, le théâtre évolua. De nouvelles formes d’héroïsme, ayant pour protagonistes les Indiens ou les conquistadores, s’imposèrent ; un système de valeurs inédit, fondé sur la confrontation entre Ancien Monde et Nouveau Monde, s’affirma dans la manière de penser et de « réécrire » l’Histoire. De la même façon, enfin, les genres mineurs – l’apologue, la fable, le dialogue, le conte – changèrent de forme, faisant de l’espace américain un nouveau territoire poétique.
Partant de ce constat, notre colloque se propose d’interroger la manière dont la littérature de fiction, en France, intègre le paradigme américain entre XVIIe et XVIIIe siècle, moment de l’histoire littéraire où l’homme et la foi dans le progrès font l’objet d’un questionnement important. L’histoire des idées et des représentations sera donc relue à la lumière de son imbrication dans le système des normes qui définissent, non sans tensions, les contours des genres littéraires. Les Dialogues des morts de Fontenelle (1683) et Les Natchez de Chateaubriand (épopée en prose publiée en 1826 mais rédigée bien avant) seront donc considérés respectivement comme le terminus a quo et le terminus ad quem de nos réflexions. Une attention particulière sera réservée aux différentes formes romanesques (le roman épistolaire, le roman exotique, le conte philosophique), poétiques (l’épopée, la fable, l’apologue) et théâtrales (la comédie, la tragédie, l’opéra-ballet), ayant pour thématique principale le paysage et les habitants du Nouveau Monde.
En adoptant le pluriel pour le titre de ce colloque, Amérique(s), nous souhaitons rapprocher des pans de la littérature habituellement étudiés séparément : l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud telles qu’elles ont été perçues par les écrivains français. Nous cherchons aussi à souligner la diversité de visions qui finit par créer des Amériques différentes (épiques, romanesques et philosophiques) à partir d’une seule réalité. Ce colloque invite donc à aborder les fictions sur le Nouveau Monde d’un double point de vue : un point de vue poétologique, visant à examiner les façons dont l’univers américain a reconfiguré les codes génériques français ; et un point de vue plus vaste, que l’on peut appeler « philosophique » et qui a pour but d’interroger les interactions complexes entre modes d’écriture et modes de pensée, fiction et Histoire, littérature et anthropologie. Comment l’Autre est-il investi, mis en scène, rencontré dans ces nouvelles fictions américaines ? Dans quelle mesure est-il support de fantasme et/ou d’idéologie ? Peut-on réellement rencontrer l’Autre sans le « fictionner » ?


Comité scientifique :
Christelle Bahier-Porte (IHRIM, Université Lyon-Saint-Étienne), Pierino Gallo (IHRIM, Saint-Étienne), Pierre Glaudes (Sorbonne Université), Françoise Le Borgne (Université Clermont Auvergne), Gianni Iotti (Université de Pise), Isabelle Mullet-Blandin (IHRIM, Saint-Étienne), Delphine Reguig (IHRIM, Université Lyon-Saint-Étienne), Philippe Roger (EHESS-CNRS), Jean-Marie Roulin (IHRIM, Université Lyon-Saint-Étienne)