Anciens et Modernes face aux pouvoirs : l’Église, le Roi, les Académies (1687-1750)

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Le règne de Louis XIV met en place les conditions d’une institutionnalisation de la vie littéraire, en particulier avec la création des Académies. Portés par cette évolution, les auteurs se trouvent, à la fin du XVIIe siècle, conduits à tirer de la période une forme de bilan. Mais ils ne le font pas d’une manière consensuelle : le dynamisme du champ littéraire donne alors naissance à une controverse qui pose clairement les enjeux de la définition d’une littérature et d’une pensée modernes, c’est-à-dire actuelles, à partir de la double expérience esthétique antique et contemporaine. En interrogeant les valeurs littéraires, le conflit qui secoue les milieux culturels et savants en France, au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, constitue une transition majeure vers une conception renouvelée de la création et de la diffusion du savoir, dont la publication de l’Encyclopédie à partir de 1750 marquera une nouvelle étape.
La Querelle des Anciens et des Modernes est de fait l’un des épisodes les plus commentés par les historiens de la littérature et des idées. Paradoxalement, il est aussi l’un des moins connus. Le volume collectif Écrire et penser en Moderne (1687-1750) (dir. Chr. Bahier- Porte et Cl. Poulouin, Champion, 2015) et le livre de Larry Norman (The Shock of the Ancient, Chicago, The University of Chicago Press, 2011) ont récemment permis de mettre en évidence la complexité de ce lieu de mémoire qu’est devenu la Querelle. Leurs avancées montrent que la Querelle des Anciens et des Modernes ne se réduit pas à un conflit facteur de rupture radicale : elle réunit les acteurs du champ littéraire dans un débat dialectique particulièrement inventif en termes d’idées et de formes.
La richesse de ces nouvelles lectures remet notamment en cause les clichés historiographiques qui majorent et surdéterminent le clivage entre les deux partis en prenant à la lettre les scénographies polémiques et en l’interprétant en termes institutionnels. Pour quoi et contre qui Anciens et Modernes se sont-ils affrontés ? L’enjeu du débat est-il de prendre position face aux pouvoirs ? Quelle est la position des Anciens et des Modernes face à l’institution religieuse ? S’agit-il de se situer dans les querelles théologiques alors en prise elles- mêmes avec la notion d’historicité ? Face au pouvoir politique, s’agit-il de privilégier l’entreprise de propagande monarchique ? Quels sont les véritables enjeux des batailles de fauteuil souvent relatées, non sans ironie, dans l’histoire de la Querelle ? Face au pouvoir académique, ne s’agit-il pas d’accepter et de légitimer l’autorité d’un nouveau corps social dont les fondements et les missions sont à définir ? Peut-on dégager un front commun dans ces débats ? Ceux que l’on qualifie d’Anciens ou de Modernes cherchent-ils à construire une unité ou bien cultivent-ils de subtiles nuances ? Peut-on continuer de penser et d’écrire que les Anciens favorisent le paganisme antique tandis que les Modernes défendent l’ordre chrétien de la monarchie absolue ? Les acteurs de la Querelle tiennent-ils un propos univoque et un discours assumé à l’égard des institutions ? La consistance ou les contradictions de ces positions éclaire- t-elle la nature profonde de la Querelle ? L’ardeur polémique entre les deux massifs occulterait- elle finalement une communauté d’intérêt entre Anciens et Modernes ? La géographie institutionnelle contemporaine se superpose-t-elle au paysage critique de la Querelle ?

Par une relecture des textes publiés à l’occasion de la Querelle, l’ambition du colloque est de mettre à distance les interprétations datées qui externalisent les enjeux d’un débat essentiel pour la définition de l’idée de modernité. La Querelle, dont les nombreux soubresauts de 1687 à 1750 suggèrent déjà la pertinence des débats, pourrait au contraire apparaître comme un moment où les Belles Lettres accèdent à une visibilité sociale et où elles peuvent se développer de manière finalement autonome, sans composer avec les éventuels antagonismes partisans et notamment religieux. En évitant le recours immédiat aux filtres qui orientent la lecture, il s’agit de se demander si le conflit qui oppose Anciens et Modernes peut recouvrir avant tout des enjeux politiques internes : pour ses acteurs, le problème est peut-être moins d’obtenir la faveur des pouvoirs que de chercher soi-même à dominer le champ des « Lettres » encore neuf dans le paysage intellectuel de l’époque.

Les propositions pourront se présenter de manière thématique ou monographique, se consacrer à une problématique précise ou au cas d’un auteur particulier. Elles pourront également proposer des questionnements transversaux et conduire des enquêtes interdisciplinaires. On pourra par exemple explorer le rôle et le statut du christianisme de Perrault dans les débats, comme ceux de l’éventuelle proximité de Boileau avec Port-Royal. On pourra également se demander si les positions théologiques et politiques des auteurs, plus ou moins consistantes, interviennent dans leur situation dans la polémique et influencent leurs choix poétiques (notamment en termes génériques). On pourra faire apparaître d’éventuelles discordances entre les choix individuels et l’inscription dans un parti singulier, dont bien des auteurs – La Fontaine, Fontenelle, Montesquieu, Marivaux… – ont déjà souligné la relativité. On pourra encore questionner l’ambiguïté du rapport des représentants des deux camps aux différentes Académies qui constituent les différents théâtres de la Querelle et sont autant des lieux de reconnaissance, des tribunes, que des lieux de mise en scène. On pourra dans cette perspective, s’interroger sur le rôle précis accordé aux différentes Académies dans le conflit : si l’Académie des sciences, conduite par Fontenelle, semble dominée par les Modernes, qu’en est-il vraiment de l’Académie française et, plus encore, de l’Académie des Inscriptions, qui a suscité moins de commentaires ? On pourra de même se demander si les éventuelles déclarations d’intention de tel ou tel acteur se traduisent par des transgressions, des changements de camp plus ou moins assumés, des rencontres inattendues et des partages inavoués.

Les propositions, accompagnées d’une présentation succincte, sont à adresser conjointement à Christelle Bahier-Porte et à Delphine Reguig avant le 10 juillet 2018.


Comité scientifique :
Christelle Bahier-Porte (Université de Lyon-Saint-Étienne), Emmanuel Bury (Sorbonne Université), Nicholas Cronk (University of Oxford), Sophie Houdard (Université Paris 3), Christophe Martin (Sorbonne Université), Larry Norman (The University of Chicago), Claudine Poulouin (Université de Rouen), Delphine Reguig (Université de Lyon-Saint-Étienne), Volker Schröder (Princeton University), Catherine Volpilhac (ENS de Lyon).