Benedetta BARTOLINI « Desseins d’artistes. Représenter la modernité du Siècle de Louis XIV sur les scènes tragiques : la concurrence poétique et politique entre Quinault-Lully et Racine »
Membres du jury
Tristan ALONGE – MCF HDR, Université de La Réunion, DIRE (rapporteur)
Carine BARBAFIERI – PR, Université de Valenciennes, LARSH
Federico CORRADI – PR associé, Université de Naples « L’Orientale » (co-directeur)
Vincenzo DE SANTIS – PR associé, Université de Salerne
Delphine REGUIG – PR, Université Jean Monnet Saint-Étienne, IHRIM (co-directrice)
Laura RESCIA – PR ordinaire, Université de Turin (rapporteure)
Résumé
Cette thèse explore la concurrence entre deux formes de tragédie à la fin du XVIIe siècle : la tragédie déclamée de Jean Racine et la tragédie en musique de Quinault et Lully. Les recherches actuelles sur les deux formes tragiques visent à comprendre les contours de cette concurrence, tout en prenant en compte les différences entre elles et la dialectique en œuvre dans sa logique interne. Cependant, aucune étude systématique de cette concurrence n’a été publiée. Ainsi, la question centrale qui anime ce travail de recherche est la suivante : quelles sont les conditions de possibilité du succès simultané de ces deux formes de tragédies ? La question repose sur la prise en compte d’une contradiction potentielle : d’une part, les auteurs s’affichent comme des représentants de formes tragiques différentes, s’appuyant sur des principes parfois antithétiques, et revendiquant ces différences ; d’autre part, la parité de succès semble indiquer que ces formes sont également appréciées par les spectateurs avec le même sentiment d’une conformité au goût de l’époque. Cette question, donc, soulève un certain nombre de défis théoriques et méthodologiques. Pour y répondre, notre hypothèse de travail est qu’il y a des phénomènes d’influence réciproque au sein même de la concurrence entre les tragédies en musique et les tragédies de Racine. En effet, bien que ces deux types de tragédie soient différents, ils partagent des finalités esthétiques communes, les auteurs participant à une quête de modernité esthétique. La concurrence entre ces auteurs semble être fondée sur l’héritage grec, mais leurs choix esthétiques révèlent que cette primauté est subordonnée à leur volonté de décliner différemment cet héritage. Ainsi, l’objectif de cette thèse est double : d’une part, répondre à l’apparente contradiction entre l’idée de théâtre tragique comme expression d’une identité culturelle, y compris du point de vue politique, et l’existence de productions tragiques si différentes rencontrant toutes deux le public ; d’autre part, comprendre ce qui fait la spécificité du genre tragique ainsi exploité et recomposé, à partir aussi d’une influence italienne sur le genre opératique, au moment même où la monarchie entend asseoir le rayonnement culturel de la France.
Dans ce travail, nous avons cherché donc à comprendre le type particulier de théâtralité impliqué par les différentes formes du genre tragique, en rapport avec le contexte politique, afin d’éclaircir les dynamiques d’influence réciproque entre ces formes et l’idée de tragédie qui sous-tend ces représentations. La première partie est dédiée aux éléments de la poétique tragique, notamment à l’analyse du traitement des sources et de la versification. La deuxième partie du présent travail concerne la question de l’héroïsme, car les héros tragiques de notre corpus représentent, comme l’ont montré les travaux de C. Barbafieri, des essais de conciliation de l’idéal tragique et de l’idéal galant. La question de l’effet tragique, notamment à travers l’étude des apparats scéniques, fait l’objet spécifique de la troisième partie : un premier temps est consacré à la scénographie et aux costumes, puis nous faisons apparaître le rapport entre passions (représentées sur scène) et émotions (suscitées chez les spectateurs) tragiques. Enfin, la quatrième partie de ce travail de recherche est dédiée à l’approfondissement de la dimension esthético-politique, en particulier dans le cadre de la Querelle des Anciens et des Modernes, afin d’en faire ressortir les enjeux philosophiques, notamment en ce qui concerne les notions de temporalité et de goût.
La période chronologique considérée dans cette thèse va donc de 1664, date de la création de La Thébaïde à 1691, date de la création d’Athalie. La totalité du corpus racinien, à l’exclusion de la comédie Les Plaideurs, sert de cadre de référence car, effectivement, elle détermine les bornes temporelles de la période historique qui nous intéresse. D’ailleurs, cette recherche se base sur l’analyse de corpus diversifiés incluant les œuvres des dramaturges, des témoignages contemporains, ainsi que des textes philosophiques et théoriques de l’époque. Finalement, au-delà de la dimension artistique, nous examinons également les enjeux de pouvoir et de modernité présents dans ces formes théâtrales, contribuant à enrichir la compréhension de la tragédie comme terrain d’expérimentation esthétique, politique et culturelle sous l’absolutisme.