Claire FONVIEILLE « Deux orchestres de chambre historiques : les formations de Jean-François Paillard et des Solisti Veneti. Les musiques « anciennes » et le disque durant la seconde moitié du XXe siècle »

Le jury est composé de :
Alessandro ARBO, professeur, université de Strasbourg, rapporteur
Laurence DECOBERT, conservatrice en chef, HDR, Bibliothèque nationale de France, rapportrice
Anne PENESCO, professeure émérite, université Lumière Lyon 2, directrice
Hyacinthe RAVET, professeure, Sorbonne université
Pascal CORDEREIX, conservateur général des bibliothèques, Bibliothèque nationale de France

Résumé :
Cette thèse porte sur deux orchestres de chambre : celui de Jean-François Paillard, d’abord constitué sous le nom d’Ensemble instrumental Jean-Marie Leclair en 1953, et I Solisti Veneti, fondés par Claudio Scimone en 1959, dont les activités ont grandement participé à la démocratisation des répertoires orchestraux des XVIIe et XVIIIe siècles, particulièrement français et italien, auprès d’un public large, en grande partie grâce au succès du microsillon dans le contexte propice des Trente glorieuses naissantes, ainsi qu’aux relations qu’entretiennent les musiciens avec leur maison de disques, Erato.
Prenant comme objet central les discographies raisonnées et comparées des deux ensembles pour cette firme, cette étude vise premièrement à situer le travail conjoint de ces musiciens et de leur éditeur discographique dans une histoire croisée de la redécouverte des musiques dites « anciennes » et de l’enregistrement. En effet, nombre d’auteurs reconnaissent le rôle fondamental du disque dans la redécouverte des œuvres préclassiques – et baroques en particulier – ; qui constituent réciproquement un réservoir inépuisable d’« inédits » pour l’industrie phonographique en plein essor. Toutefois, le travail éditorial et artistique des ces firmes, souvent spécialisées, de même que celui des nombreux orchestres de chambre qui apparaissent à partir de l’entre-deux guerres, dont font partie Paillard, Scimone et Erato, et qui redessinent véritablement le monde musical, restent encore aujourd’hui majoritairement dans l’ombre de l’histoire de l’interprétation des musiques baroques, surtout concernant la seconde moitié du XXe siècle.
Deuxièmement, cette recherche souhaite replacer ces discographies à la fois dans leur contexte de production et de réception, à travers l’observation d’une partie des discours qui entourent les enregistrements et qui contribuent à façonner leurs représentations. Deux corpus secondaires viennent ainsi éclairer les productions musicales des deux orchestres : les notices des pochettes de disques rédigées par les chefs eux-mêmes, qui constituent des espaces d’expression privilégiés sur leurs propres interprétations ; et les recensions et récompenses discographiques, qui témoignent des jugements portés par la critique contemporaine. Ceux-ci sont enthousiastes et unanimes longtemps, les musiciens bénéficiant d’une reconnaissance à la fois qualitative, sur le plan esthétique, et quantitative, sur le plan économique, de la part des professionnels et des mélomanes, au moins jusqu’au profond bouleversement esthétique soulevé par le mouvement « baroque » durant le dernier quart du XXe siècle.
L’examen de ces discours nous renseigne enfin sur la complexité et l’historicité du goût musical, et amène à quelques réflexions épistémologiques et historiographiques en matière d’interprétation des œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles.
Mots-clefs : musiques anciennes, répertoire, baroque, classique, patrimoine musical, interprétation, chef d’orchestre, orchestre de chambre, enregistrement, discographie, goût, critique musicale, historiographie. 

Two historical chamber orchestras : L’Orchestre de chambre Jean-François Paillard and I Solisti Veneti “Early” music and recording during the second half of the 20th century

This thesis focuses on two chamber orchestras : that of Jean-François Paillard, founded in 1953 as the Ensemble instrumental Jean-Marie Leclair, and Claudio Scimone’s I Solisti Veneti, founded in 1959. Both largely contributed to a wider public acquaintance with 17th and 18th century orchestral music, especially French and Italian. Major factors in this were LP’s success in the context of the emerging Trente Glorieuses, as well as the relationship between the musicians and their record company, Erato.
Based on the reasoned and comparative discographies of the two ensembles with this company, this study first seeks to situate the joint work of these musicians and their record label in a histoire croisée of the rediscovery of “early” music and of recording. Indeed, many authors recognize the fundamental role of records in the rediscovery of pre-classical works, especially baroque, and those in turn provided the booming phonographic industry with an inexhaustible source of then unpublished works. These firms, including Erato, along with the many chamber orchestras created from the 1920’s onward, notably those of Paillard and Scimone, truly reshaped the musical world through their editorial and artistic work. Yet, their significance in the history of baroque music performance remains mostly unrecognized, especially with regards to the second half of the 20th century.
Secondly, this research seeks to place these discographies in the context of their production and reception through the review of discourse that surrounds the recordings and helps shape their perception. Thus, two secondary corpora shed light on these musical productions. The first one is sleeve notes, written by the conductors themselves : they provide privileged spaces for expression about their interpretations. The other is reviews and discographic awards, relaying the judgements made by contemporary critics. For a long time, the latter are unanimously enthusiastic, with musicians getting recognized both qualitatively and quantitatively, that is aesthetically and economically, by professionals as well as music lovers. This period extends at least until the aesthetic revolution originating in the “baroque” movement in the last quarter of the 20th century.
The analysis of this discourse finally informs us about the complexity and the historicity of musical taste, and leads to some epistemological and historiographical reflections on the interpretation of early music.
Keywords : early music, repertoire, baroque, classical, musical heritage, interpretation, conductor, chamber orchestra, recording, discography, taste, music criticism, historiography