Joël CASTONGUAY-BÉLANGER (Univ. of British Columbia) « Contre Newton. Écrits astronomiques et polémiques de Louis-Sébastien Mercier »
Organisation : Lucien DERAINNE (chaire de professeur junior, UJM Saint-Étienne, IHRIM)
En 1806, Louis-Sébastien Mercier fait paraître un ouvrage témérairement intitulé De l’impossibilité du système de Copernic et de Newton. Dans cet ouvrage, l’auteur du Tableau de Paris entend « ruiner la chimère du romancier Newton » et démontrer que la rotation de la terre sur son axe ainsi que sa révolution autour du soleil sont des mouvements aussi illusoires que la loi de l’attraction adoptée depuis plus de cinquante ans par la quasi-totalité des savants. Ceux-ci, écrit-il, abusent de la crédulité du bon peuple en voulant lui faire croire que cette loi peut à elle seule expliquer la chute des corps, maintenir les planètes sur leur orbite, prédire le passage des comètes et établir l’influence de la lune sur le mouvement des marées.
La publication du livre De l’impossibilité du système de Copernic et de Newton peut difficilement passer pour une bravade irréfléchie et improvisée de la part de Mercier. Il faut au contraire y voir l’apogée d’une campagne publique amorcée des années plus tôt dans la presse. Dans les premiers mois de 1800, les principaux journaux de la capitale voient en effet se succéder des dizaines d’articles dans lesquels Mercier affirme vouloir en finir avec la cosmologie newtonienne. Trois ans plus tard, en 1803, il renchérit en publiant deux Satires contre les astronomes ; les vers succèdent à la prose journalistique, mais la cible reste la même. Le dialogue qui s’instaure entre Mercier et les divers intervenants dans cette campagne (parmi lesquels on compte des journalistes, des critiques littéraires, des auteurs d’épigrammes et des écrivains comme Rétif de La Bretonne) permet également de souligner l’aspect finalement assez peu scientifique de ce qui allait s’avérer l’un des derniers combats mené par un écrivain qui n’en était pourtant pas à son premier paradoxe.
Cette croisade tardive contre Newton fait encore partie des épisodes les plus mal connus de la vie et de l’œuvre de Mercier. Comment comprendre qu’elle survienne près d’un demi-siècle après ce que l’historiographie des Lumières nous présente souvent comme le triomphe probant et définitif du newtonianisme en France ? Difficile à catégoriser ou à prendre au sérieux, cette campagne participe pourtant d’un phénomène culturel suffisamment important pour justifier ici son examen. Nous souhaiterions montrer ici que son surgissement à ce moment particulier de l’histoire signale peut-être autre chose que les symptômes d’un esprit fatigué. Son intérêt réside peut-être moins dans les arguments en somme assez peu scientifiques de Mercier que dans l’espace qu’on a bien voulu lui accorder et ce, en dépit de son caractère indéfendable.