Des pieds et des mains. Représentations culturelles, politiques et sociales en Europe (1450-1650)
Organisation : Joëlle LOUISON-LASSABLIÈRE et Samuel CUISINIER-DELORME
Pieds et mains permettent la relation à autrui, au monde et à Dieu. Comment la Renaissance appréhende-t-elle cette relation ? Les découvertes géographiques, médicales et techniques, l’avènement de nouveaux schémas de pensée et de nouvelles croyances, ainsi que les bouleversements sociaux qui en résultent ont-ils modifié la perception que l’homme se fait de ses pieds et de ses mains ? Nous proposons, lors de ce colloque, d’explorer de manière non limitative les domaines suivants :
1/ La dimension normative
La référence au pied ou à la main cherche-t-elle à véhiculer une norme ou à l’établir ?
On s’appuiera sur le système de mesures (pied, pouce), sur les codes de politesse (révérence, salut civil ou militaire), sur les codifications chorégraphiques ou théâtrales, sur les us et coutumes (cf. les accessoires qui habillent pieds et mains, comme chaussures et gants, et éventuellement ceux qui refusent cette norme, comme les moines déchaux).
Les autres peuples (notamment les peuples récemment découverts et/ou fantasmés, voire imaginaires, dont on moque les caractéristiques physiques ou auxquels on attribue des particularités étranges) sont-ils vus avec les mêmes attributs ? Le concept d’exotisme réside-t-il dans une dissemblance des pieds et des mains ?
Comment est perçu le handicap ? Dans cette optique, nous pourrons nous interroger, par exemple, sur le statut de l’estropié ou du manchot.
De la marginalité à la monstruosité : quels sont les critères qui stigmatisent le pied ou la main qui ne fonctionne pas selon les normes (statut de celui qui est né avec un pied bot ou qui est gaucher) ? Il s’agira, dans cette perspective, de réfléchir à ce que ces discriminations disent de la société où elles ont cours.
Enfin, quel intérêt y a-t-il à souligner l’anormalité ou l’irréalité de certains êtres par la difformité de leurs pieds ou de leurs mains (diable aux pieds fourchus, satyres aux pieds de bouc) ?
2/ La dimension sacrée et/ou symbolique
Comment s’impose le rôle sacré du pied ou de la main ? Nous étudierons ainsi ce qui relève de la tradition, de la croyance, de l’instrument de pouvoir.
De la main de Dieu, créatrice du premier homme, à la main du roi (qui guérit les écrouelles, qui adoube), du prêtre (qui bénit ou baptise) ou du juge (main de Justice, prestation de serment), quel pouvoir passe par la main ?
Est-ce la main ou le geste qui est signifiant ? Comment passe-t-on du corporel au symbolique ?
Comment s’exprime ce pouvoir dans le langage spécialisé, technique ou courant (ex. : « J’en mettrais ma main au feu », expression qui renvoie aux ordalies) ? On pourra également faire une étude linguistique des adages et expressions populaires comme témoignages des croyances et des superstitions liées à ce pouvoir réel ou supposé.
Si les animaux et les plantes ont des pieds, l’homme a aussi des mains : quelle part d’humain ou de divin recèle la main qui crée ? Est-elle vue comme la marque de la supériorité de l’homme sur les autres espèces ?
D’autres domaines pourront être pris en considération : la chiromancie, la physiognomonie ou le magnétisme (que suppose l’imposition des mains).
3/ La dimension humaniste
En quoi pieds et mains sont-ils perçus comme l’expression de l’individu tout entier, de sa personnalité profonde, voire de son âme ? Sont-ils la synecdoque du corps ? Que révèlent-ils ? Qu’occultent-ils ?
On pourra s’appuyer sur l’étude des représentations des pieds et des mains : planches de médecine, représentations en peinture et sculpture, gisants, etc.
Pieds et mains peuvent laisser une trace : l’empreinte. Quel(s) intérêt(s) offre-telle ?
Dans quelle mesure la vision des pieds et des mains est-elle conditionnée par une représentation mentale qu’infléchit la culture antique (influence de la Bible, de l’art grec ou romain, de la philosophie…) ?
4/ La dimension créatrice, littéraire et artistique
La main n’est-elle qu’un outil, le pied un support ou un simple moyen de locomotion ? N’ont-ils pas un rôle au-delà d’une vision utilitaire qui relèverait d’une dimension créatrice et artistique ?
Le champ de la création est vaste, puisqu’il conviendrait de s’interroger sur les arts scéniques (théâtre, danse, marionnettes), l’écriture (l’œuvre imprimée risque-t-elle de perdre ce que le manuscrit avait d’unique ?), la peinture, les jeux (comme la mourre), ainsi que les activités physiques (escrime, jeu de paume…). On pourra alors se référer aux mythes de la création technique ou artistique, par exemple celui d’Héphaïstos (boiteux mais remarquable forgeron).
Dans la littérature et le théâtre, pieds et mains peuvent-ils avoir un rôle narratif ? Dans les œuvres dramatiques, nous pensons par exemple à la main qui tue. Ces parties du corps peuvent également être sources d’inspiration, comme dans les blasons, ces courts poèmes célébrant le corps féminin. Par ailleurs, comment pieds et mains peuvent-ils revêtir une fonction érotique ou maléfique dans un texte littéraire ?
Dans l’art, la fascination des peintres de la Renaissance pour les mains (par exemple, les études de Léonard de Vinci ou la Création d’Adam de Michel-Ange, où l’index de Dieu rejoint celui d’Adam) pourra être étudiée, dans la continuité des travaux de l’historien de l’art André Chastel, notamment dans son article « L’art du geste à la Renaissance » (in La Revue de l’Art, volume 75-1, 1987, pp. 9-16).
Danser n’est-ce pas, entre autres, « mouvoir & remuer les pieds [et] mains » pour citer partiellement la définition de Thoinot Arbaud dans son Orchésographie (1589) ? Nous pourrons alors nous interroger sur le placement des pieds et des mains et réfléchir à la dimension normative induite par les manuels chorégraphiques.
Ces pistes sont données à titre indicatif et ne sont pas limitatives. Certaines peuvent faire l’objet d’une étude croisée. Nous ne restreignons pas ce colloque à une aire géographique en particulier afin de permettre de réfléchir à cette thématique sur le plan européen.
Les propositions de communications en français, d’une longueur de 300 à 500 mots, assorties d’une courte notice bio-bibliographique, sont à adresser conjointement à Marie-Joëlle LOUISON-LASSABLIÈRE et Samuel CUISINIER-DELORME avant le 1er février 2021. Les notifications d’acceptation seront envoyées aux participants en mars 2021.
Comité scientifique :
Samuel Cuisinier-Delorme, Université Clermont Auvergne
Anne-Valérie Dulac, Sorbonne Université
Caroline Fischer, Université de Pau et des Pays de l’Adour
Adeline Lionetto, Sorbonne Université
Marie-Joëlle Louison-Lassablière, Université Jean Monnet (Saint-Etienne)
Jean-Luc Nardone, Université Toulouse – Jean Jaurès