III. Ce que le littéraire fait à l’Église


Organisé par Frédéric Gabriel, Dominique Iogna-Prat et Alain Rauwel

Le XIXe siècle est une période faste pour la mise en récit de l’Église. Son rôle dans la marche des sociétés ou dans le progrès des sciences est un enjeu majeur de la littérature polémique, qu’il s’agisse d’exalter la tradition de Chrétienté ou de vilipender le complot des hommes en noir. La fiction n’est pas en reste. Des Goncourt à Zola et à Huysmans, les romans bruissent du frôlement des soutanes. Et l’on sait désormais à quel point, tant pour les maîtres « fin de siècle » que pour la génération postérieure qui culmine dans La Recherche, le paradigme du lieu d’Église, souvent la cathédrale, est décisif. Au siècle des grands succès publics, cela donne aux débats internes du catholicisme une visibilité sociale nouvelle. Mais il était inévitable que cela agît aussi sur la perception et l’auto-perception de l’Église. D’une certaine façon, le De Ecclesia glisse des facultés de théologie aux cabinets de lecture ; d’objet dogmatique, l’Église devient aussi, et peut-être d’abord, un objet esthétique, susceptible d’appropriations qui n’auront plus grand-chose à voir avec le vieux régime sacramentel et qui pourront prendre, à l’occasion, le parfum capiteux du sacrilège. Celle qui fut la maîtresse du vrai ainsi ramenée au rang de prétexte à fiction, le champ des âmes laisse place à la conquête des imaginaires.

9h30-12h30 :
Introduction, par Alain Rauwel

1. Histoire de l’ecclésialité et ecclésialisation de l’histoire chez Michelet, par Yann Potin (Archives nationales)

2. Georges Sand et la vision post-joachimite d’un christianisme sans Église, par Patrick Henriet (EPHE)

14h15-18h30 :
3. L’Église romaine et la littérature au XIXe siècle : l’action de la Congrégation de l’Index du romantisme au naturalisme, par Jean-Baptiste Amadieu (CNRS-ENS)

4. L’apparition de la figure sacerdotale dans le champ littéraire, par Frédéric Gugelot (Université Paris-Ouest Nanterre)

5. Magistère ecclésial et magistère de l’écrivain, par Alexandre de Vitry (Collège de France)

Discutants : Judith Lyon-Caen (EHESS), François Trémolières (Université Paris-Ouest Nanterre), Stéphane Zékian (CNRS, Lyon)


Ce séminaire s’intéresse à la genèse historique des catégories qui façonnent en partie notre compréhension spontanée des entités institutionnelles. Aussi, loin de reléguer la longue construction chrétienne de l’objet « institution » dans l’irrationalité, dans le cynisme hiérocratique, ou dans le pur faire-valoir préhistorique d’une rationalité contemporaine, nous nous concentrons au contraire sur l’étude de la forte architecture élaborée au cours des siècles,
par ce que l’on peut désigner aujourd’hui sous le nom d’ecclésiologie, et qui par excellence pense ce qu’est une société. Balayant un champ large, des charismes jusqu’aux élaborations normatives techniques, ces théories diverses de l’institution sont d’une richesse qui reste souvent inexploitée. Il s’agit donc, non seulement d’explorer ces nombreux textes et leurs subtilités, mais aussi de les comprendre à l’aune des conceptions de la société et de la constitution des découpages disciplinaires dont ils sont en partie dépendants.

Ainsi, notre perspective ne se rattache pas à ce qui est habituellement publié sous le nom d’ecclésiologie, comme le volume Exploring Ecclesiology de Brad Harper et Paul Louis Metzger (Grand Rapids, 2009). Le sous-titre fera d’emblée comprendre notre réticence : « An Evangelical and Ecumenical Introduction ». Notre enquête est non pas confessionnelle mais historique et contextuelle, croisant l’histoire, la philosophie, la sociologie religieuse, l’histoire du droit, la science des rites, la théologie et les sciences politiques (qui, en France au moins, minorent souvent l’Église comme type de gouvernement). Si l’ecclésiologie peut paraître comme un objet curieux et exotique, elle est pourtant présente comme terrain nourricier de thématiques qui ont connu un succès certain : la construction juridique, les origines canoniques de l’administration, le problème « théologico-politique », la dynamique conciliaire, le corps mystique, la place de la religion dans la cité ; autant de perspectives qui définissent une rationalité institutionnelle spécifique. Toutefois, c’est bien souvent en minorant l’ancrage ecclésiologique, qu’il soit structurant ou interstitiel, que l’on utilise ces termes.

À l’inverse, ce séminaire entend reconstituer de manière archéologique le soubassement d’une discipline relativement ignorée du public cultivé, ou de l’université laïque. D’où sa dimension érudite, au sens de l’importance du doctrinal, du scholarship, et de la tradition dense dans laquelle il s’insère : comment l’histoire est-elle écrite au regard de tel ou tel présent, comment le présent est-il compris par le prisme de tel ou tel passé ? En effet, la constitution de l’ecclésiologie est d’autant plus importante qu’elle se conçoit par principe sur le temps long, mais elle révèle surtout les noeuds problématiques d’une histoire en prise avec le présent et qui est issue de conflits confessionnels profonds. Tout l’intérêt de la reconstitution critique de cette discipline est de proposer une morphologie religieuse de l’Europe récente qui mette en évidence la dynamique des courants, des écoles, la circulation de leurs idées, et les différents concepts qui servent de lieux de rencontre mais aussi de combats. En effet, c’est bien simultanément que l’ecclésiologie écrit son histoire et se confronte au contemporain (individualisme, sécularisation, démocratisation, séparation de l’Église et de l’État). Notre
enquête ne se veut pas encyclopédique, mais elle entend déterminer ces noeuds problématiques, mettre en évidence des lignes thématiques, et préciser leurs congruences ou leurs ruptures. En résumé, il s’agit de mieux faire apparaître les liens entre ces thématiques, leurs milieux, les réseaux, et les paradigmes qui y circulent. Trois gains sont attendus : une libération des schèmes traditionnels de lecture, une meilleure connaissance réflexive de la constitution des découpages disciplinaires (leur histoire compte d’ailleurs en elle-même), un renouvellement dans la lecture de ces doctrines et de ces corpus grâce à cette distance historiographique et critique.

Ce séminaire, qui en est à sa deuxième année, vient prolonger un programme dont les premiers résultats sont publiés en ligne (http://cem.revues.org/12743) : Les nouveaux horizons de l’ecclésiologie : du discours clérical à la science du social.

Lieux : ENS de Lyon et EHESS (Paris)