L’émergence du roman d’anticipation scientifique dans l’espace médiatique francophone (1860-1940)


Organisateur(s) :
Claire Barel-Moisan,
Jean-François Chassay,
Christèle Couleau,
Sarah Mombert

Le roman d’anticipation scientifique se développe, dans le domaine francophone, au tournant du XXe siècle. Situé au croisement de la littérature et des sciences, à la lisière du roman d’aventure et du fantastique, il ne s’impose pas immédiatement comme un genre à part entière, mais se pense peu à peu à travers une série de dénominations génériques, du « merveilleux scientifique » au « roman des temps futurs » ou à la « science-fiction ». Cette cristallisation accompagne l’essor de la vulgarisation scientifique, adoptant souvent de semblables logiques de diffusion et de popularisation.

À l’exception de quelques auteurs (Verne, Robida, Rosny aîné, Renard…), le vaste corpus qui compose cette littérature est peu connu. Le roman d’anticipation échappe au canon littéraire, à la fois parce qu’il relève de la littérature populaire et parce que ses productions ne sont pas unifiées sous une même bannière. L’un des objectifs de ce colloque est de remédier à cette méconnaissance en identifiant les parentés, les réseaux, les supports éditoriaux permettant de circonscrire cet ensemble générique. Pour ce faire, il propose d’aborder des romans et des nouvelles de littérature française, québécoise, belge et suisse, entre 1860 et 1940, soit du début des « Voyages extraordinaires » de Jules Verne jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Dans ce cadre général, nous souhaiterions plus spécifiquement poser la question de la lecture, et de l’écriture du roman d’anticipation. En effet, la question du lectorat est centrale pour comprendre les stratégies des auteurs qui nous intéressent. S’ils parlent volontiers du futur, ce n’est pas aux générations futures qu’ils s’adressent, mais bien à leurs contemporains, qu’ils espèrent nombreux. Leurs choix éditoriaux, leur rapport étroit avec l’univers de la presse, leurs clins d’œil à l’actualité, leur maniement de l’humour et du spectaculaire, mais aussi leur souci de diffuser les connaissances scientifiques et de leur donner corps dans des récits largement accessibles forment diverses facettes d’un même questionnement, sociologique et esthétique, sur les moyens d’être lu…

Dans une perspective sociocritique, il s’agira aussi de mettre en contact le texte avec le hors-texte. Qu’on parte de ce qui constitue la « vie littéraire » (l’ensemble des conditions de production, de diffusion et de consommation des textes) ou du texte lui-même comme objet de langage et création esthétique indissociable de la société qui l’a vu naître, il faudra se demander comment l’acte de lecture et l’acte d’écriture permettent de penser l’anticipation scientifique sur les plans stratégique, cognitif, esthétique, intertextuel et interdiscursif. L’objectif sera donc d’observer à la fois ce qui produit le texte d’anticipation – pour quelles raisons sociales et historiques, liées à des pratiques et à des institutions en plein développement – et ce que produit le texte d’anticipation – que nous apprend-il sur la société de son époque, comment déplace-t-il les enjeux de la science en faisant le lien entre la fiction et la réalité sociale ?