L’énigme de la soumission librement consentie : Ecarts et tensions entre vécus subjectifs et rapports de domination objective
Organisé par Camille Chevalier et Maxime Rovere
Les différents rapports de domination qui structurent nos sociétés contemporaines produisent des effets subjectifs variés, selon que la domination s’exerce de manière directe ou indirecte, qu’elle soit explicite ou implicite, unilatérale ou non. L’exercice d’une domination explicite et directe, sur le mode de la relation interpersonnelle ordre-obéissance, n’affecte pas les individus de la même manière qu’une domination internalisée dont les conditions sont reproduites par habitude, voire qu’une domination explicite mais perdue de vue comme telle. Par ailleurs, il arrive communément, dans nos sociétés hiérarchisées, que les individus soient à la fois dominés et dominants, selon les différentes sphères sociales dans lesquelles ils évoluent. La soumission, active ou passive, tend à se faire oublier comme telle et passe parfois pour l’affirmation même de notre autonomie et de notre liberté de décision. Pour comprendre ce paradoxe, que l’on pourrait nommer selon la formule des psychologues sociaux, de « soumission librement consentie », et dans l’objectif de saisir les raisons, les causes et les enjeux de l’écart entre l’exercice d’une domination objective et les vécus subjectifs de liberté en situation de soumission, nous nous proposons d’interroger les expériences subjectives des rapports de domination, notamment du point de vue de la posture de soumission.
L’expression de « soumission librement consentie » ou « compliance without pressure », formulé par Jonathan L. Freedman et Scott C. Fraser en 1966, désigne les effets des procédés d’influence et de persuasion (le « pied-dans-la-porte » l’amorçage, le leurre...). Ces procédés reposent sur la non-transparence et ont pour particularité de donner l’impression aux individus influencés qu’ils sont les auteurs libres et responsables de leurs décisions. On peut voir dans cette formule une confusion apparente entre la soumission contrainte et résignée et l’affirmation d’un consentement autonome ou d’un libre choix. C’est comme si c’était à la soumission elle-même que l’on consentait librement. En réalité, la soumission ou la contrainte qui devrait être vécue comme telle passe pour un consentement et le sentiment qui en résulte est une impression de liberté, d’autonomie de décision, prise sans coercition.
Nous souhaiterions interroger l’écart et les tensions entre les vécus subjectifs de liberté et l’objectivité des rapports de domination, en nous penchant aussi bien sur les vécus et récits subjectifs de la soumission que sur les divers procédés et mécanismes à l’oeuvre dans la production de ces vécus et récits subjectifs. Qu’est-ce qui distingue les pratiques manipulatrices théorisées par la psychologie de l’engagement des nudges de Thaler et Sunstein, qui influencent l’action vers la
« bonne décision » sans contrarier la liberté de choix ? Quels sont les présupposés anthropologiques qui les sous-tendent ? Quelle est la valeur du consentement affectif ? Quel rôle peut jouer le sentiment de liberté ? Qu’est-ce qui produit cet écart entre perception subjective et état de fait objectif ? De nombreuses sphères de la vie sociale, si ce n’est toutes, permettent d’aborder la question des rapports de domination et des vécus psychologiques, affectifs et cognitifs de la soumission. Seulement, certaines s’y prêtent plus que d’autres, en tant qu’elles représentent divers degrés de soumission et différents rapports de domination, explicites ou implicites, directs ou indirects. Le management des organisations libérales producteur d’obéissance heureuse, l’apprentissage des normes sociales et du respect de l’autorité à l’école, la domination masculine et la soumission féminine dans les relations intimes et l’utilisation de nudges fournissent des cadres d’analyse féconds. Une approche pluridisciplinaire de l’expérience de la soumission dans sa dimension affective peut nous permettre d’accéder à une meilleure intelligibilité de ces réalités troubles que sont les rapports de domination.
Normes et conditions des propositions de communications
Les communications peuvent être soumises en français, en anglais ou en portugais. La maîtrise au moins passive de ces trois langues est nécessaire.
Elles doivent être prévues pour une durée de 40 minutes environ et seront suivies d’un échange.
Vous êtes libre quant au choix du sujet, dès lors qu’il répond à l’objet de ce colloque et qu’il s’inscrit dans les directions thématiques esquissées plus haut.
Un résumé de 500 mots doit nous être envoyé avant le 31 janvier 2019, à l’adresse mail suivante : soumissionPUC2019 gmail.com