Le Dictionnaire critique de l’Église au risque de regards croisés entre Allemagne et France


Organisation : Frédéric GABRIEL (IHRIM), Dominique IOGNA-PRAT (EHESS), Klaus OSCHEMA (IHA) et Alain RAUWEL (CéSor)

Une rencontre coorganisée par l’Institut historique allemand (Paris), l’École des hautes études en sciences sociales (Centre Alexandre Koyré et CéSor, Paris) et l’Institut d’histoire des représentations et des idées dans la modernité de l’École normale supérieure (Lyon).


En France, pays de la « séparation », une division historique des tâches entre l’État et l’Église a relégué l’étude de cette dernière au rayon d’une histoire religieuse le plus souvent coupée des visées et des méthodes en sciences sociales. Pourtant, l’objet « Église » est au centre de toute réflexion sociologique depuis les pères fondateurs : Comte, Troeltsch, Weber ou Durkheim. L’entreprise du Dictionnaire critique de l’Église (PUF, Paris, 2023) vise à proposer un « tournant critique » sur la base d’un instrument d’analyse à entrées multiples. Il ne s’agit pas de livrer une nouvelle histoire de l’Église découpée en articles, mais d’analyser un certain nombre de notions essentielles pour mettre en évidence et discuter les problématiques qui structurent l’Église comme modèle d’institution. Classiquement, quand il s’agit de définir l’Église, on reconnaît d’emblée l’ambiguïté du terme, ses sens multiples : c’est cette ambiguïté et sa polyphonie qui est explorée de manière dialectique.

Le Dictionnaire critique de l’Église s’intéresse ainsi à la genèse historique et partisane des débats qui façonnent notre compréhension spontanée des entités institutionnelles. Loin de reléguer la longue construction chrétienne de l’objet « institution » dans l’irrationalité, l’ouvrage se concentre sur l’étude de la forte architecture élaborée au cours des siècles par ce que l’on peut désigner aujourd’hui sous le nom d’« ecclésiologie » ou science de l’Église. L’ecclésiologie peut sembler une discipline lointaine et exotique alors qu’elle est présente comme terrain nourricier de thématiques qui ont connu un succès certain dans le domaine des sciences sociales : la construction juridique, les origines canoniques de l’administration, le problème « théologico-politique », la dynamique communautaire (pensons à l’importance du principe synodal ou conciliaire), le corps mystique, la place de la religion dans la cité ; autant de perspectives qui définissent une rationalité institutionnelle spécifique et qui permettent d’examiner, dans toute la profondeur d’une histoire millénaire, les notions qui nourrissent nos conceptions de la société jusque dans les débats les plus actuels, tels le genre, la sexualité ou la violence.

Organisé autour de quelque quatre-vingt concepts tantôt endogènes au christianisme, tantôt création des sciences sociales, ou encore mixte des deux, ce dictionnaire propose de discuter des questions d’Église sous la forme de véritables essais le plus souvent rédigés à plusieurs mains, cette prime au collectif manifestant la volonté de faire entendre une grande diversité d’approches, dans le temps et l’espace aussi bien que dans les méthodes, entre anthropologie, droit, histoire, philologie, philosophie, sociologie et théologie. On a recherché ainsi une forme d’équilibre entre un état des questions distancié et un point de vue critique assumé, hors de toute revendication confessionnelle, mais tout en tenant compte des tiraillements polémiques. En veillant à traiter de façon fouillée les aspects essentiels de l’ecclésialité chrétienne, les concepteurs de l’ouvrage ont souhaité se situer dans une tradition bien identifiée : celle des sciences sociales du religieux à la française, telles qu’elles se sont développées depuis la fin du XIXe siècle et dont l’adjectif « critique » résume l’objectif. La bibliographie raisonnée qui clôt l’ouvrage vise justement à permettre au lecteur de poursuivre tout à son aise sur ce chemin « critique ». Comment juger de cette entreprise « critique » vue depuis une autre tradition historiographique ? La tension théologie/sciences sociales fait-elle sens de la même façon dans le monde de Durkheim et dans celui de Weber ? Les « notions » du Dictionnaire relèvent-elles des Grundbegriffe de la sémantique historique à l’allemande ? Des questions parmi d’autres que la rencontre devrait permettre d’aborder.