Le « génie » à l’épreuve du genre


Au cours de la première journée du Laboratoire Junior FIGÉE, consacrée à la définition des différentes acceptions du terme « génie » dans les discours savants et théoriques des XVIIe et XVIIIe siècles, est apparue comme une nécessité l’approche du « génie » au prisme du genre.

En effet, si rien ne permet a priori d’affirmer que le génie soit exclusivement masculin, il convient de remarquer dans les textes de l’époque une écrasante majorité d’occurrences décrivant des hommes glorifiés pour leur perception du « génie » poétique de la langue ou de considérations sur le génie de telle ou telle profession exclusivement masculine.
Du génie d’abord perçu collectivement au génie de plus en plus individualisé – philosophique, poétique ou même scientifique – les textes paraissent ainsi résister à une inclusion des femmes d’Ancien Régime qui se retrouveraient reléguées hors de toute génialité. Pourtant, si l’on s’en tient à l’identification du génie particulier avec un « démon » telle qu’elle était si courante à la Renaissance , n’est-il pas encore possible de trouver au XVIIe siècle ne seraient-ce que les traces d’un « mauvais génie » féminin dans les nombreux récits de possessions et d’exorcismes ? À une période où les chasses aux sorcières font encore rage, où les sages-femmes sont progressivement inféodées aux médecins, où les épistolières doivent se ranger aux règles du bon goût et de la pudeur telles que définies par des auteurs de traités de civilité, est-il possible de déceler quelque part dans les textes d’Ancien Régime une description du génie qui ne soit pas en fait exclusivement masculine ? Au XVIIIe siècle, Diderot lui-même ne considérait-il pas, suivant en cela Aristote et Galien, que les femmes pussent transmettre du génie à leurs enfants sans en être elles-mêmes pourvues ? En faisant des femmes des êtres « mutilés et imparfaits » par rapport aux hommes, la tradition scolastique a-t-elle également amputé les femmes de toute possibilité d’être géniales ? Toutes ces questions sont autant d’invitations à explorer, sous l’angle de la notion de génie, des textes écrits non seulement sur les femmes, souvent pour des femmes, et – pourquoi pas même ? – par des femmes.


C’est un projet de 2 ans minimum mené par des doctorantes et doctorants de Lyon, Saint-Étienne et Montréal. En plus du soutien de l’ENS de Lyon, le musée des beaux-arts de Lyon sera partenaire.

Il est proposé dans ce laboratoire de reprendre l’enquête initiée par Edgar Zilsel en lui donnant une perspective nouvelle. En 1926, il livrait au public germanophone une histoire de la notion de l’Antiquité à la Renaissance. Celui-ci promettait alors « d’autres volumes ultérieurs [qui] viendront compléter l’histoire de la notion de génie jusqu’à nos jours » (Le Génie. Histoire d’une notion de l’Antiquité à la Renaissance, 1993 [1926]) et qui, hélas, n’auront jamais été écrits par ce chercheur. Mais les travaux du laboratoire-junior ne poursuivront pas seulement cette étude fondatrice : ils s’inscriront aussi dans l’actualité historiographique. Depuis l’ouvrage fondateur d’E. Zilsel, Jean-Alexandre Perras (2012) a rédigé une thèse sur l’évolution de cette notion de la Renaissance aux Lumières, en France exclusivement et dans une perspective davantage philosophique et sémantique que la nôtre. Plus récemment encore, Darrin M. MacMahon (2013) a tenté d’en réécrire l’histoire longue, avec les limites inhérentes à un aussi large corpus. L’un des points communs entre ces deux ouvrages réside dans l’ampleur de leur enquête historique, et leur postulat d’une discontinuité historique entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Nous nous proposons de faire un pas de côté par rapport à cette division historiographique traditionnelle pour penser de façon plus souple la transition constituée par la Querelle des Anciens et des Modernes. Surtout, la genèse de l’individu d’exception y est centrale dans les deux parcours, alors que nous souhaiterions, de notre côté, davantage réfléchir aux implications de l’échelle collective dans ce concept. Tout en nous appuyant sur les acquis de ces travaux importants, nous souhaiterions à la fois approfondir les questionnements déjà soulevés par Zilsel, MacMahon et Perras, mais aussi et surtout explorer d’autres aspects, unifiés par la réflexion sur la construction de ces identités collectives.

Axes du projet :
Définition du génie dans les discours savants et théoriques
Le génie collectif à l’épreuve du genre
Circulation des génies et transferts culturels
Mises en scène et représentation du génie dans les arts et fictions littéraires

Membres du projet :
Sacha GRANGEAN (ENS Lyon)
Maxime JEBAR (Lyon 2)
Madeleine SAVART (Saint-Etienne)
Elisabeth VUILLEMIN (Lyon 2)

Site : https://figee.hypotheses.org/