Les Mères du désert à l’âge classique : une renaissance ? Angélique de Saint-Jean et la seconde génération de Port-Royal
Organisation : Laurence PLAZENET (IHRIM), Muriel ARRUEBO-DEBIÉ (EPHE) et Anne-Claire VOLONGO (Société des Amis de Port-Royal)
Entrée libre et gratuite sur inscription (obligatoire) sur ce site.
Le programme est consultable et téléchargeable en cliquant sur ce lien.
Euphrasie, Paule, Eustochie, Synclétique, Thècle, Mélanie, Euphrosyne… La tradition occidentale les ignora. Au XVIIe siècle, des femmes baptisées Cécile, Angélique, Anne-Marie, Madeleine ou Michelle, entrant en religion, choisirent leur nom pour vivre en Dieu et à Port-Royal. Qui furent les unes et les autres ? Que signifie pour une femme de l’âge classique l’élection de ces patronnes peu connues, à peine exhumées depuis trente ans, par quelques chercheuses, essentiellement britanniques et américaines, sous le syntagme de « Mères du désert » ? Que purent-elles savoir d’elles ? Par qui ? Leur choix est-il un geste ? Qu’entend-il dire ? Vaut-il profession d’un rapport à la foi et à la vie religieuse ?
Alors que l’année 2024 marque le quatrième centenaire de la naissance de la dernière Arnauld abbesse de Port-Royal, la très brillante Angélique de Saint-Jean Arnauld d’Andilly, née le 29 novembre 1624, l’étude de sa figure et de celle des femmes de sa génération (Anne-Marie de Sainte-Eustochie de Flesselles de Brégy, Madeleine de Sainte-Christine Briquet, Marie de Sainte-Euphrasie Robert, Anne-Julie de Sainte-Synclétique de Rémicourt, etc.), qui prirent le voile après l’œuvre de réforme de la mère Angélique et témoignèrent d’un intérêt propre pour leurs devancières antiques, s’impose : elle a été singulièrement négligée. Ces moniales constituent-elles un groupe spécifique ? Quels sont leurs itinéraires ? Leur culture ? Leur rapport à l’Écriture ? À l’avènement de l’Église ? Apocalypse, petit reste, martyre : quels sont les ressorts de leur pensée ? Sa traduction concrète dans les travaux et les jours d’existences monachiques ? Quelle espérance nourrissaient-elles ?
Alors que le monastère, de plus en plus menacé, se vit finalement fermé sur ordre du roi, quelques anciennes pensionnaires et novices expulsées entrèrent en résistance et réinventèrent dans le monde une vocation que la décision royale entendait briser. Singuliers destins que celui de ces nouvelles Solitaires qui, après l’exil des Messieurs de Port-Royal, devinrent leurs correspondantes et truchements dévoués : Mme de Fontpertuis pour Antoine Arnauld, Mlle de Joncoux pour Pasquier Quesnel, Mlle Gallier pour M. de Pontchâteau. Ces nouvelles Solitaires ne se contentèrent pas du rôle de servantes zélées. Toujours en lien avec les religieuses, et en premier lieu avec Angélique de Saint-Jean, elles forgèrent Port-Royal, « abbaye de papier », lieu de mémoire, mythe. Rassemblées en une indissoluble communauté d’esprit, les religieuses professes et leurs sœurs de cœur renvoyées dans le monde copièrent, archivèrent, préparèrent les matériaux de la fresque de Port-Royal, que les historiens et amis du monastère réalisèrent au siècle suivant, afin de sauver de l’oubli l’abbaye réduite au silence des ruines.
La question n’invite pas à se pencher seulement sur des personnalités et leurs itinéraires. Elle exige d’ouvrir archives et livres, comme d’emblée elle fait surgir des énigmes. Il peut paraître évident qu’Angélique de Saint-Jean et ses congénères puisèrent leurs modèles dans les Vies des Pères du désert traduites par Robert Arnauld d’Andilly – sinon que l’ouvrage parut après que les références aux Mères du désert se furent multipliées. Le Solitaire montre-t-il la voie ou bien s’engouffre-t-il dans un chemin ouvert par quelques-unes de ces femmes exceptionnelles ? Anne-Marie de Sainte-Eustochie de Flesselles de Brégy avait pour mère une Précieuse réputée, qui avait publié plusieurs ouvrages, figure iconoclaste, aujourd’hui toujours intellectuellement sous-estimée. Le fantôme des Mères du désert suppose-t-il paradoxalement de restituer des échanges trop scrutés entre Port-Royal et le monde ? Que savait-on au XVIIe siècle des Mères du désert ? Par quelles voies ?
Cette esquisse d’un sujet tentaculaire ne fait que suggérer quelques-unes des pistes que le colloque souhaiterait explorer : biographies, patristique, transmission, christianisme primitif, héroïsme, spiritualités féminines…