Madeleine SAVART « Une “œconomie de la langue tout différente de celles d’Europe” Langues de l’autre au prisme de l’imaginaire langagier français dans les récits viatiques du XVIIe siècle »
Membres du jury
Delphine REGUIG – PR, Université Jean Monnet Saint-Étienne, IHRIM (co-directrice)
Sylvie REQUEMORA – PR, Aix-Marseille Université, CRLV (rapporteure)
Gilles SIOUFFI – PR, Sorbonne Université, STIH (rapporteur)
Judith SRIBNAI – PR, Université de Montréal (co-directrice)
Frédéric TINGUELY – PR ordinaire, Université de Genève (examinateur)
Thomas WIEN – PR honoraire, Université de Montréal (examinateur)
Résumé de la thèse
Cette thèse vise à établir les rapports pluriels que les représentations des langues imaginaires ou étrangères des récits viatiques à la première personne du xviie siècle entretiennent avec l’imaginaire langagier français de la même époque. Que les voyages soient authentiques ou fictifs, la place et les fonctions des représentations des langues autres y sont conséquentes : ce sont à la fois un moyen de nouer une relation avec autrui, un objet de connaissance à maîtriser, un outil de légitimation du récit, un espace de convocation de l’imaginaire langagier français, un creuset des difficultés épistémiques du voyageur.
Les langues autres sont tout d’abord un motif central dans les textes, de la rencontre à l’immersion sociale, en passant par le premier contact, l’apprentissage et les échanges suivis. L’intersubjectivité entre les Européens et les habitants locaux est modelée selon les besoins et les attentes du narrateur, manifestant l’existence d’enjeux extratextuels qui informent ces représentations. Les métamorphoses du rapport narratif à la figure d’autrui au gré des textes révèlent la nécessité, pour faire récit, d’articuler l’expérience du voyageur à quelque chose de concevable pour ses lecteurs et lectrices. L’altérité dont les habitants autochtones sont porteurs est souvent condamnée à être évacuée, rapportée à une seule différence, ou circonscrite a minima. Les représentations langagières sont davantage traversées par des références, des modèles et des questionnements qui ont alors cours en Europe. Ces récits de voyage témoignent de la diversité des réflexions philosophiques, mondaines, théologiques, grammaticales en cours, en même temps qu’ils constituent un pôle du débat éloigné des sphères des querelles, qui les met en perspective. Sans chercher à systématiser cet imaginaire langagier, il est possible d’en distinguer plusieurs nœuds : les mythes bibliques, les quêtes de perfection et de régularité, la grammaire latine étendue, la tripartition rhétorique antique, les notions d’éloquence sacrée et de clarté. Convoqué par les narrateurs, ce réseau discursif est également bousculé par les représentations des langues autres, qui n’y trouvent pas une place préexistante. Cet infléchissement fragilise le dispositif de la narration à la première personne et manifeste comment discours et usages de l’autre interroge l’imaginaire langagier européen.