Mathilde VIDAL (univ. Jean Moulin Lyon 3, IHRIM) « L’étrenne, genre du don et du réseau. »
Organisation : Élise RAJCHENBACH
Marquée par la circulation des livres et des hommes, la Renaissance est régulièrement étudiée sous l’angle des influences et par conséquent des réseaux. Par « réseaux », on entend les amitiés, accointances, alliances et protections dont bénéficie le poète ou que ce dernier cherche à acquérir. Considérés autour d’un auteur ou au sein d’un groupe, entre deux espaces, ou encore entre imprimeurs-libraires, ces réseaux sont indispensables à la lecture des œuvres littéraires afin d’en éclairer les enjeux. Dans ce cadre, nombreux sont les travaux féconds menés tant en littérature qu’en histoire, souvent fondés sur des études de cas.
Toutefois, une telle approche se contente généralement de considérer les réseaux comme un medium intellectuel, tâchant de reconstituer d’une manière qui ne peut que rester partiellement hypothétique, le cheminement d’une idée ou la transmission d’une lecture. En outre, si la part des réseaux s’est trouvée au cœur de travaux de détail récents sur la poésie de la Renaissance ou si la notion de réseaux est abordée incidemment, lors de l’étude de notions connexes comme la correspondance ou le don, la question mérite toutefois qu’on s’y attarde de manière plus globale et plus centrale : ce qu’on appelle les « Network Studies » ont encore trop peu pénétré la recherche en France pour aborder la littérature ancienne. Le présent projet se propose de déplacer radicalement la notion de réseau et de l’aborder sous un jour nouveau, en l’envisageant comme composante essentielle de la création littéraire de la Renaissance. Il s’agit ainsi d’aborder un point aveugle de nos objets d’études en reconsidérant tout un pan de la littérature et plus particulièrement de la poésie largement laissé dans l’ombre, faute d’outils qui permettraient de saisir un mode de création et de lecture désormais caduc et incompris. Interroger la poétique du réseau remet en lumière des pans entiers de la production poétique mis de côté par des lecteurs et par une critique qui n’en maîtrise plus les codes. Elle permet également de considérer la poésie, et plus largement la littérature, comme une pratique pleinement sociale et de s’affranchir ainsi à la fois d’une approche romantique et d’une lecture structuraliste de la poésie, nécessairement restrictives, potentiellement appauvrissantes. Elle réinscrit par ailleurs la création poétique dans une pratique collective, amenant à repenser la notion d’auctorialité, que ce soit dans les recueils dits d’auteurs ou dans les recueils collectifs. En ce sens, le projet s’inscrit dans la dynamique actuelle qui reconsidère la place de l’auteur dans la création en remettant sur le devant de la scène les pratiques collectives et en repensant la fonction sociale des pratiques littéraires.