Raphaëlle BLIN « Opéra et mémoire : prendre position face au passé. Réappropriation et réintégration du passé dans Lohengrin et Parsifal en Allemagne, des années 1960 au début du XXIe siècle »

Composition du jury :
M. Emmanuel REIBEL (ENS de Lyon). Directeur de thèse
Mme Marielle SILHOUETTE (Université Paris Nanterre). Co-directrice de thèse
Mme Isabelle MOINDROT (Université Paris 8). Rapporteure
Mme Marie-Hélène BENOIT-OTIS (Université de Montréal). Rapporteure
M. Fabrice MALKANI (Université Lumière Lyon 2). Examinateur
M. Christian MERLIN (Chercheur et critique indépendant). Examinateur

Résumé :
Cette thèse s’appuie sur le tournant générationnel qui marque l’Allemagne de l’Ouest dans le cadre des mouvements étudiants de la fin des années 1960. En zone de culture germanique, ces derniers étant spécifiquement dirigés vers la génération des pères, ils s’attaquent aux tabous de la reconstruction allemande lors de l’immédiat après-guerre. Ce mouvement de relecture du passé immédiat s’accompagne d’une interrogation plus large sur la compromission d’un passé allemand plus lointain, en particulier le passé romantique. Dans ce contexte, les artistes de toutes les disciplines prennent à bras le corps ce travail de deuil et de mémoire du passé allemand. Le monde de l’opéra y participe pleinement, par le lien fort que le médium entretient avec le monde politique. Nous étudions ces processus de réintégration du passé par le biais des représentations wagnériennes de Lohengrin et de Parsifal – deux œuvres d’un compositeur dont le nom est intimement associé à l’histoire et à l’identité allemandes et dont la réappropriation à partir des années 1960 est exemplaire de ce nouveau travail de mémoire. Ce doctorat s’appuie sur un ensemble de dix productions entre le début des années 1970 et la fin des années 2000, dans des mises en scène de Harry Kupfer, Peter Konwitschny, Hans Neuenfels, Werner Herzog, Götz Friedrich, Nikolaus Lehnhoff, Klaus Michael Grüber et Hans-Jürgen Syberberg, et sous les directions musicales de Woldemar Nelsson, Peter Schneider, Sebastian Weigle, Kent Nagano, Andris Nelsons, Semyon Bychkov, Daniel Barenboim et Armin Jordan. L’objectif est d’étudier comment les mises en scène, les dramaturgies et les interprétations musicales répondent à l’injonction de leur époque, en prenant position face aux traditions de représentation : soulever les tabous de l’histoire allemande, se réapproprier un passé jugé compromis, dessiner de nouvelles pistes de l’identité. Pour cela, cette thèse se déroule en trois temps : pour les artistes du corpus, il s’agit tout d’abord de déconstruire les mythes associés à la figure de Richard Wagner et à ses œuvres. Cela passe par une distance critique systématique, par une rupture avec les symboles de la germanité, par un échec du miracle et de la transcendance et par une omniprésence des ruines comme prise de conscience de la catastrophe. La deuxième étape consiste à creuser des thématiques peu explorées auparavant pour faire émerger de nouveaux récits de l’identité allemande : parmi ces thèmes, cette thèse étudie les notions de l’utopie, du rêve, de l’enfance, de l’émancipation et de l’émotion. Enfin, une fois ces récits établis, il faut contribuer à l’écriture d’une autre mémoire, plus responsable et plus consciente. Là encore, plusieurs démarches sont envisagées dans ce travail : dénoncer l’oubli et ses dangers, pointer du doigt une violence devenue systémique et comprendre les causes de ce déferlement, retrouver un hédonisme musical à l’écoute des opéras de Richard Wagner, et proposer une réintégration conscientisée du passé romantique allemand. Cette thèse est complétée par un corpus secondaire multidisciplinaire, avec des œuvres caractéristiques du contexte générationnel, notamment des peintres et sculpteurs Anselm Kiefer, Georg Baselitz et Markus Lüpertz, des cinéastes Rainer Werner Fassbinder, Hans-Jürgen Syberberg et Werner Herzog ou encore de la chorégraphe Pina Bausch.

Mots-clés : Wagner, opéra, mémoire, mise en scène, dramaturgie, génération