Séance 7 : « Dire je : s’inscrire dans langue et se construire dans un espace »


Organisation : Vianney DUBUC et Nicolas MAZEL

Cette séance sera composée de trois communications dont l’enjeu est de comprendre comment l’inscription d’un je dans une langue et dans un espace peut participer à la construction d’une identité. Cela nous invitera aussi à poser la question du support sur lequel le je peut se projeter, qu’il soit textuel avec le récit d’asile dans la France contemporaine, paratextuel avec les méthodes d’apprentissage des langues au XVIe siècle ou bien slogan avec les tags sur les murs parisiens.

Lou BOUHAMIDI (ENS de Lyon) :
« Moi je suis asile : Enjeux de la co-énonciation à la première personne dans les récits pour la demande d’asile en France ».
Cette intervention aura pour objet la pièce majeure des dossiers de demande d’asile en France : des récits, requis en français à l’écrit puis entendus avec interprète à l’oral, censés détailler les persécutions vécues par les demandeurs d’asile dans leurs pays d’origine. Loin d’être la production du seul requérant, ce récit est très souvent rédigé à plusieurs mains. Pourtant, le droit, l’ensemble de la procédure et les discours des acteurs et actrices qui y prennent part font du demandeur l’unique responsable de ses propos et de l’issue de son dossier. Comment s’élabore l’énonciation au je dans ces récits ? Qui se cache derrière ce pronom ? À travers l’explicitation des conditions de production et de réception de ce récit, j’analyserai différents exemples de co-énonciation à plusieurs étapes de la procédure pour montrer que ces récits sont aussi en partie co-produits par l’institution qui les suscite.

Clémence JAIME (univ. Jean Moulin Lyon 3) :
« Le récit autobiographique. d’apprentissage au service de la légitimité didactique : étude des paratextes de quelques méthodes de langue portugaises, espagnoles et françaises des XVIe et XVIIe siècles ».
Au seuil de nombreux instruments d’apprentissage des langues des XVIe et XVIIe siècles, l’auteur prend la parole et revient sur sa propre expérience d’apprentissage voire de grammairien. Il s’agit, tantôt, d’asseoir sa légitimité didactique (« il ny a rien de plus facile a la Nation Angloise que de prononcer l’Italien, & je le puis dire par experience », Rossi Giacomo, Le maitre aisé & rejouissant, Londres, chez Mrs. Alcokes, 1710), tantôt, de souligner le travail au service de la communauté nationale, et même de Dieu pour surmonter la confusion linguistique (« esotro Vocabulario que comiença en lengua Mexicana : el qual me ha costado el trabajo que nuestro Señor sabe », Molina Alonso de, Vocabulario en lengua castellana y mexicana, Mexico, Antonio de Spinosa, 1571).
Cette communication s’attachera à démêler les stratégies discursives qui apparaissent dans quelques-uns de ces espaces textuels où la posture auctoriale oscille entre affirmation de son aisance dans une langue autre et mise en avant des efforts fournis pour la maîtriser, entre altérité qui légitime l’ouvrage, et ipséité qui revendique un service à la communauté linguistique, politique et religieuse.

Chenyang ZHAO (univ. Sorbonne Nouvelle - Paris 3) :
« Le je singulier et le je collectif - construction du sujet acteur-scripteur dans le cas des slogans muraux parisiens ».
Cette intervention sera l’occasion d’interroger, dans un cadre sémio-linguistique, l’inscription du sujet dans les traces scripturales de l’espace public parisien. L’investigation sera double : énonciative et pragmatique. Sur le plan énonciatif, on pourra examiner l’emploi des déictiques et la construction d’un ethos (individuel ou collectif par exemple dans le cas des collages féministes à partir du choix d’un support spécifique). Et sur le plan pragmatique, on pourra creuser la signification de l’acte de "tracer", dans une orientation quasiment anthropologique. L’acte de signer sur une surface publique est donc un acte de se représenter. Écrire un slogan au mur n’aura pas le même effet que d’écrire ce même slogan sur le papier, il y a une certaine force performative dans cette pratique liée à sa matérialité et son genre de discours. Le je est non seulem ent dit, il est aussi écrit et accompli. C’est cette inscription du je et cette auto-représentation dans l’espace public parisien qui sera au cœur de cette investigation.


Ce séminaire est une étude transdisciplinaire et transhistorique de l’expression de la première personne.

Plus qu’une simple question grammaticale, le pronom de première personne soulève des questions de représentations mentales et culturelles. Dire je ne se résume pas à la neutre expression d’un sujet locuteur, il s’agit bel et bien d’introduire dans la langue et le monde les marques d’un point de vue qui modifient le langage et le monde. Ce point de vue dépend de constructions culturelles qui peuvent, elles-mêmes, être situées et décomposées afin d’être décrites.

Ce sujet appelle certainement en premier lieu l’étude linguistique mais convoquent aussi l’expertise de la littérature et de la philosophie.

Sur le site du séminaire (https://direje.hypotheses.org/), des comptes rendus de séances seront édités après chaque rendez-vous.