Spinoza autrement
Nouvelles perspectives en histoire de la philosophie
Spinoza a longtemps fait l’objet d’une lecture hors-sol. Tout au long du XXe siècle, son œuvre a été lue pour elle-même, en elle-même. Le système hypothético-déductif de l’Ethique semblait encourager une lecture
« internaliste » : il semblait possible de comprendre le texte seulement par le
texte et de suivre, à la manière de M. Gueroult, l’ordre des raisons. Dans le sillage d’Althusser, le Traité Théologico-Politique a été beaucoup lu pour y trouver des concepts susceptibles d’appuyer une pensée politique contemporaine. L’étude du « contexte » ne pouvait éclairer que de l’extérieur dans quel « cadre » Spinoza en était arrivé à concevoir une philosophie, elle- même conçue en termes de « doctrine », autrement dit à partir de positions thématiques, objets d’enseignement.
Il est aujourd’hui possible de repartir d’un terrain plus abondant qu’une œuvre considérée in abstracto, attribuée à un génie artificiellement isolé. Aux Pays- Bas, en Italie et ailleurs, les recherches en histoire de la philosophie ont mis au jour un terrain plus riche qu’il n’y paraît, qui permet de repenser la philosophie de Spinoza à partir de sa constitution polyphonique.
Aborder les textes comme lieux de rencontre entre des disciplines hétérogènes, donner à y entendre une multiplicité de voix, se réjouir du "repeuplement" de ce XVIIe siècle longtemps abordé à partir de grandes figures héroïsées : tel est le propos. Penser le rationalisme comme des chemins démultipliés. Redonner aux adversaires leur rôle dans la constitution de la pensée. Rendre à la philosophie naturelle toute son extension. Redistribuer les frontières de la philosophie, en dépassant définitivement les alternatives entre le « dehors » et le « dedans » du
« système », entre le « philosophe » et ses « interlocuteurs », entre « l’histoire » et l’adaptation contemporaine du « concept »… C’est aller chercher dans les textes de Spinoza autre chose que les reliques d’un saint rationaliste. Y retrouver l’authenticité, l’énergie et l’élan du geste philosophique.