V. L’exégèse comme matrice de l’ecclésiologie
Organisé par Frédéric Gabriel, Dominique Iogna-Prat et Alain Rauwel
De se dire instituée par le Verbe, l’Église ne peut que se définir en référence permanente au corpus scripturaire – et singulièrement à quelques lieux plus directement ecclésiologiques, parmi lesquels les propos de Paul sur la communauté ou les mises en scène évangéliques de l’apostolicité. Pour autant, le christianisme demeure une religion de l’interprétation, où l’univocité n’est pas un a priori. Le « vrai sens » y est à trouver au terme d’un parcours exégétique, dont on sait bien que la révolution critique a bouleversé la logique, au point de mettre en crise l’institution. Les évolutions techniques, méthodologiques et historiques de l’exégèse ont donc des conséquences directes sur l’ecclésiologie, qui se trouve traitée et renouvelée à même les travaux bibliques. Mais ces travaux sont de statuts très divers : psittacismes de séminaire, controverses intra et interconfessionnelles, avancées scientifiques autonomes... Des champs connexes interfèrent en outre, de l’étude des apocryphes à la patrologie, porteuse de la mémoire d’une « exégèse spirituelle » aux étonnants revivals. C’est dans ce maquis de recherches et de publications qu’il s’agira de tracer quelques voies utiles à l’enquête générale sur l’autocompréhension de l’Église.
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Ce séminaire s’intéresse à la genèse historique des catégories qui façonnent en partie notre compréhension spontanée des entités institutionnelles. Aussi, loin de reléguer la longue construction chrétienne de l’objet « institution » dans l’irrationalité, dans le cynisme hiérocratique, ou dans le pur faire-valoir préhistorique d’une rationalité contemporaine, nous nous concentrons au contraire sur l’étude de la forte architecture élaborée au cours des siècles,
par ce que l’on peut désigner aujourd’hui sous le nom d’ecclésiologie, et qui par excellence pense ce qu’est une société. Balayant un champ large, des charismes jusqu’aux élaborations normatives techniques, ces théories diverses de l’institution sont d’une richesse qui reste souvent inexploitée. Il s’agit donc, non seulement d’explorer ces nombreux textes et leurs subtilités, mais aussi de les comprendre à l’aune des conceptions de la société et de la constitution des découpages disciplinaires dont ils sont en partie dépendants.
Ainsi, notre perspective ne se rattache pas à ce qui est habituellement publié sous le nom d’ecclésiologie, comme le volume Exploring Ecclesiology de Brad Harper et Paul Louis Metzger (Grand Rapids, 2009). Le sous-titre fera d’emblée comprendre notre réticence : « An Evangelical and Ecumenical Introduction ». Notre enquête est non pas confessionnelle mais historique et contextuelle, croisant l’histoire, la philosophie, la sociologie religieuse, l’histoire du droit, la science des rites, la théologie et les sciences politiques (qui, en France au moins, minorent souvent l’Église comme type de gouvernement). Si l’ecclésiologie peut paraître comme un objet curieux et exotique, elle est pourtant présente comme terrain nourricier de thématiques qui ont connu un succès certain : la construction juridique, les origines canoniques de l’administration, le problème « théologico-politique », la dynamique conciliaire, le corps mystique, la place de la religion dans la cité ; autant de perspectives qui définissent une rationalité institutionnelle spécifique. Toutefois, c’est bien souvent en minorant l’ancrage ecclésiologique, qu’il soit structurant ou interstitiel, que l’on utilise ces termes.
À l’inverse, ce séminaire entend reconstituer de manière archéologique le soubassement d’une discipline relativement ignorée du public cultivé, ou de l’université laïque. D’où sa dimension érudite, au sens de l’importance du doctrinal, du scholarship, et de la tradition dense dans laquelle il s’insère : comment l’histoire est-elle écrite au regard de tel ou tel présent, comment le présent est-il compris par le prisme de tel ou tel passé ? En effet, la constitution de l’ecclésiologie est d’autant plus importante qu’elle se conçoit par principe sur le temps long, mais elle révèle surtout les noeuds problématiques d’une histoire en prise avec le présent et qui est issue de conflits confessionnels profonds. Tout l’intérêt de la reconstitution critique de cette discipline est de proposer une morphologie religieuse de l’Europe récente qui mette en évidence la dynamique des courants, des écoles, la circulation de leurs idées, et les différents concepts qui servent de lieux de rencontre mais aussi de combats. En effet, c’est bien simultanément que l’ecclésiologie écrit son histoire et se confronte au contemporain (individualisme, sécularisation, démocratisation, séparation de l’Église et de l’État). Notre
enquête ne se veut pas encyclopédique, mais elle entend déterminer ces noeuds problématiques, mettre en évidence des lignes thématiques, et préciser leurs congruences ou leurs ruptures. En résumé, il s’agit de mieux faire apparaître les liens entre ces thématiques, leurs milieux, les réseaux, et les paradigmes qui y circulent. Trois gains sont attendus : une libération des schèmes traditionnels de lecture, une meilleure connaissance réflexive de la constitution des découpages disciplinaires (leur histoire compte d’ailleurs en elle-même), un renouvellement dans la lecture de ces doctrines et de ces corpus grâce à cette distance historiographique et critique.
Ce séminaire, qui en est à sa deuxième année, vient prolonger un programme dont les premiers résultats sont publiés en ligne (http://cem.revues.org/12743) : Les nouveaux horizons de l’ecclésiologie : du discours clérical à la science du social.
Lieux : ENS de Lyon et EHESS (Paris)