Vincent BIERCE « Le sentiment religieux dans La Comédie humaine de Balzac. Foi, ironie et ironisation. »
Le jury est composé de :
M. Éric Bordas, professeur à l’ENS de Lyon (directeur)
Mme Couleau, maître de conférences à l’université Paris XIII (examinatrice)
M. Glaudes, professeur à l’université Paris-Sorbonne (examinateur)
M. Laforgue, professeur à l’université Bordeaux-Montaigne (rapporteur)
M. Schoentjes, professeur à l’université de Gand, (rapporteur)
Résumé :
Le présent travail s’attache à montrer comment, dans l’œuvre balzacienne, la représentation de la foi, pensée comme un sentiment religieux, est fondée sur un principe actif de retournement que nous appelons ironisation. Distincte de l’ironie et fondamentalement non humoresque, l’ironisation construit une problématique de la valeur qui, dans la société du premier XIXe siècle confrontée au désordre et à l’instabilité du sens, semble être la seule forme apte à traduire les fluctuations du réel et à donner à lire la non-coïncidence entre l’ordre du sujet et l’ordre du monde. Dynamique narrative, esthétique et poétique, l’ironisation consiste en une force de déplacement et de déstabilisation, en un nouveau mode critique qui installe la réversibilité des interprétations au cœur des récits, réfute toute hiérarchisation des axiologies contraires et engage une vision du monde où la vérité ne se fonde plus sur une transcendance, celle de Dieu, du sens ou du vrai. Assumant la solitude radicale dans laquelle elle laisse le lecteur, l’ironisation brouille les repères, renverse constamment les significations et refuse toute tentative d’unification systématique : elle constitue ainsi une véritable prise de contact avec le réel et interroge la croyance en déterminant une troisième voie qui échappe à la dialectique stérile nihilisme/spiritualisme.
Si Balzac invente toute une théologie originale et personnelle qu’il développe et exemplifie notamment dans Le Livre mystique, et s’il ménage dans ses romans des scènes récurrentes qui voient les personnages confrontés à l’apparition du sacré, il cherche néanmoins à représenter le sentiment religieux dans l’Histoire et à intégrer sa pensée du spirituel au sein d’un dispositif général fondé sur un projet matérialiste et une poétique de type « réaliste ». Cette double postulation se traduit par l’ironisation qui, en procédant à une mise en tension des opposés, le religieux et le matérialisme, le doute et la spiritualité, donne naissance à une unité radicalement polyphonique qui invite à repenser la représentation de la foi dans le monde contemporain à la lumière de catégories nouvelles. Rendant indécidable un sens univoque et faisant cohabiter des réalités incompatibles, le geste d’ironisation détermine alors un nouveau rapport au temps et interroge le phénomène religieux ainsi que le devenir de l’individu moderne et de l’Histoire.