La philosophie de Condillac et ses réceptions
Organisation : Delphine ANTOINE-MAHUT (ENS Lyon, IHRIM) et Anik WALDOW (Université de Sydney)
Les travaux sur la philosophie de Condillac et son potentiel critique restent rares aujourd’hui, si on les compare aux études cartésiennes, kantiennes ou encore lockéennes. Pourtant, les réflexions de Condillac sur la distinction entre une métaphysique absconse prétendant accéder à la connaissance de l’essence des choses, et une métaphysique empiriste informée des limites (étendue et bornes) de la connaissance humaine ; ou bien encore, sur l’origine et la nature des capacités spécifiquement humaines, telles que la capacité de raisonner, de réfléchir et d’utiliser le langage ; ont clairement donné à la philosophie une nouvelle orientation. Elles ont suscité des réactions dans toute l’Europe et au-delà. Ceux qui l’ont reçu ont souvent explicité, hiérarchisé voire radicalisé, ce qu’il ne faisait que suggérer ou s’efforçait de concilier. En engendrant de ce fait aussi bien des explications matérialistes de l’esprit que des formes d’intellectualisme, Condillac est resté un interlocuteur constant.
En outre, la particularité de sa philosophie est d’avoir été continuellement appliquée dans de nombreux domaines de la connaissance et de la pratique humaines, allant de la chimie (avec Lavoisier) et de l’aliénisme (avec Pinel ou Esquirol, par exemple) à l’économie et à la politique (avec les Idéologues). En réinvestissant notamment Bacon et Descartes, Condillac a légué à ses successeurs une méthode d’analyse ou de décomposition qui, à bien des égards, est devenue un principe fondateur de la société moderne.
Ce colloque international explorera les processus complexes de réception de la philosophie de Condillac. Notre objectif principal est de transformer la lecture historiographique binaire (Descartes contre Locke, le « rationalisme » contre « l’empirisme ») à laquelle Condillac a longtemps été associé et qui a de ce fait contribué à le défigurer. Car Condillac nous permet justement de penser des hybridations et formes subtiles d’éclectismes, beaucoup plus aptes à rendre compte des textes originaux et de leurs traductions pratiques dans les sciences appliquées. Ce colloque contribuera ainsi au travail international concerté sur la complexité de l’histoire de la philosophie et de l’ensemble de ses acteurs, en mettant au jour les enjeux pratiques très actuels.
Condillac’s philosophy was widely disseminated and received throughout Europe and even beyond. To date, however, studies of its critical potential remain largely minor compared to the numerous works on Kantian or British philosophers. Yet Condillac’s reflections on the origin and nature of specifically human abilities, such as the ability to reason, reflect and use language, took philosophy in a distinctly new direction. Later thinkers not always agreed with him, and their engagement with his philosophy often radicalised and spelled out what Condillac only suggested. Condillac’s reflections, for instance, inspired materialist conception of the mind as much as they led thinkers to re-assert the uniqueness of human capacities when compared with those of non-human animals. But even for these thinkers Condillac remained a constant interlocutor.
Moreover, what renders Condillac’s philosophy peculiar is that it was continuously applied in many different fields of knowledge and human practice, ranging from chemistry (with Lavoisier) and alienism (with Pinel or Esquirol, for example) to economics and politics (with the Ideologists). By re-engaging Bacon and Descartes—and numerous other thinkers who embraced little known hybrid accounts—Condillac thus bequeathed to his successors a method of analysis or decomposition, which, in many ways, became a foundational principle of modern society.
This conference will explore the complex lines of influence connecting Condillac’s philosophy with different traditions of thought across Europe and beyond. Our main aim is to transform the binary reading (Descartes against Locke) with which Condillac has long been associated. For Condillac allows us to think of subtle hybridizations (and forms of eclecticism) that are much more apt to account for both the original texts and their practical translations in the applied sciences. The conference will thus contribute to the concerted international effort to render more visible the complexity of the history of philosophy, its relevance for distinctly practical questions, and the nature of non-linear developments to which lesser-known writers substantially contributed