Quinzo confiné « George Sand et le choléra en 1832 »
Extraits de la correspondance de George Sand en lien avec les recherches de Olivier BARA sur cette autrice.
3e livraison : la suite au prochain Quinzomadaire…
Le 1er avril 1832, Aurore DUDEVANT a quitté Nohant, son mari et son fils pour rejoindre Paris en compagnie de sa fille âgée de quatre ans. En ce mois d’avril 1832, réfugiée dans son appartement du cinquième étage, 25 quai Saint-Michel, elle assiste à la progression du choléra. Atteinte elle-même (le 13 avril), elle tente de rassurer par ses lettres son mari, Casimir DUDEVANT, son fils, Maurice, sa mère et ses amis.
À Laure Decerfz [amie résidant à La Châtre]
Ta lettre m’a fait grand bien, ma chère fille. D’après les lettres effrayées que je recevais de Nohant je m’imaginais le choléra en pleine activité chez nous, heureusement il n’en est rien encore. Tu me fais voir qu’il ne faut pas prendre la peur au mot, car on a peur à Nohant, et grand peur. N’en ris pas c’est un petit ridicule qu’on a partout. Il est inconcevable de voir comme on tient à la vie et comme les courages d’homme échouent devant la frayeur de mourir au lit. Cela me confirme dans l’opinion où j’étais déjà que le vrai courage inerte, passif, positif appartient exclusivement aux femmes. Il fallait je pense cette petite épreuve pour mettre au jour tous les caractères. Le choléra a eu ce côté plaisant qu’il a dépouillé sans pitié des milliers de fausses bravoures. Je connais dix jeunes gens qui ne parlaient que de sang, de république, de soleil de juillet [de la révolution de 1830], de conspirations, poignards, canons et autres balivernes lesquels se purgent, s’enveloppent, se cachent, se médicamentent et se rendent malades à force de croire qu’ils le sont. Beaucoup qui se vantaient d’avoir affronté les balles suisses et le canon royal [pendant la révolution de juillet 1830] me donnent aujourd’hui de grands doutes sur leur sincérité, à voir comme ils affrontent la colique.
L’aurez-vous, ne l’aurez-vous pas ? moi j’espère toujours ce que je désire. C’est une habitude, mais ça n’empêche pas le mal qui doit arriver. S’il va chez nous, donne-moi souvent des nouvelles de ta famille et de la mienne. Le mal est terrible quand on le voit de loin. J’ai bien plus peur du choléra de La Châtre qui de celui qui était à ma porte ces jours derniers. Ne sois pas inquiète de moi, chère enfant, jamais je ne me suis portée si miraculeusement bien, par religion et par devoir, je me suis soignée comme jamais je n’avais fait. J’ai mangé ayant faim ou non. Je me suis forcée à avoir chaud, à dormir etc. Enfin je me suis contrainte à vivre absolument en bourgeoise du quai S[ain]t Michel. Aussi j’ai retrouvé mes forces, mon sommeil et mon appétit. Je puis dire que le choléra m’a fait un bien infini. C’est une infâme pensée, une réflexion odieusement égoïste. […]
Source : George Sand, Correspondance, édition de Georges Lubin, Paris, Classiques Garnier, t. II, 1966, p. 65-77. Photographie issue du site Mon carnet George Sand