Quinzo confiné « Par temps de peste au XVIIe siècle »

Forme & ordre des Quarantaines
Textes du XVIIe siècle, en lien avec les recherches de Edwige KELLER-RAHBÉ, maîtresse de conférences en littérature française du XVIIe siècle.
3e et dernière livraison.

Comme il est libre à chacun de fuïr le mal, & la mort, il est juste de rendre facile, à tous ceux qui le voudront, les moyens de sortir des lieux pestez, avec la seurté du public, sans qu’ils puissent porter le mal en aucun endroit : Pour cet effect, nul de ces gens-là ne doit estre receu, qu’il n’aye passé, hors de toute communication & frequentation, quarante jours en un endroit à la campagne, soit maison ou hutte construite expressément, qui luy sera assignée par les Magistrats du lieu où il ira faire la quarantaine, gardé de trois Gardes ; l’un desquels, s’il se peut, & qu’on en trouve, qui soit dans la mesme maison ou hutte, afin de voir tout ce que feront ceux qui y seront dedans, s’ils ont des indispositions, si par hazard ils prennent quelque remede, ou se pensent de quelques playes ; ce qu’il sera obligé de declarer, sous peine de la vie ; sera tel gardé, renfermé, & privé de toute autre frequentation, tout de mesmes que ceux qu’il gardera, les deux autres seront huttez à vingt pas ou environ de l’endroit où seront enfermez telles personnes, sans les approcher de plus prés, ou les toucher, ny souffrir qu’aucun y frequente, sous peine de la vie : Pourra l’un d’iceux aller querir tout ce qui sera necessaire à telles gens enfermez, en remettant à terre ce qu’il aura porté, à huict ou dix pas de la porte de la maison, auquel endroit ceux de dedans viendront prendre ce qu’il aura remis.
Pourront neantmoins telles personnes s’esgayer, & promener à vingt ou trente pas de la maison où ils seront enfermez, en avertissant au prealable leurs Gardes : Pourront aussi estre en quarantaine en mesme endroit les familles entieres, & plusieurs personnes, pourveu qu’elles le demandent ainsi, & qu’elles y entrent en mesme jour ; laissant à la prudence des Magistrats, de redoubler & renforcer les Gardes, si le nombre des personnes enfermées, ou la scituation des maisons le demandent.
Comme telles quarantaines ne peuvent estre faites aux endroits infectez, & que ce doit estre aux lieux où la santé soit parfaite, il est juste d’en limiter l’estenduë à cinq lieuës à la ronde, pour n’exposer indifferemment tous les lieux au hazard de telles quarantaines.
Ceux qui la demanderont declareront à ceux qui commanderont au Blocus, quel lieu ils veulent choisir ; où il leur sera par eux assigné, l’advis en sera donné à l’avance aux Magistrats des lieux choisis, afin qu’ils fassent preparer des licts, des maisons à la campagne, ou huttes suffisantes à recevoir ceux qu’on y voudra mettre. Cela fait, ils y seront conduits par tel nombre de Gardes qu’il sera ordonné par le Commandant au Blocus, lesquels iront partie devant partie derriere eux, à la distance de vingt ou trente pas, sans pouvoir s’approcher davantage, sur peine de la vie : Ils passeront dehors & à l’escart de toutes les Villes, & les Villages de leur route ; & lors qu’ils seront arrivez aux lieux destinez à la quarantaine, ils les remettront aux Gardes qui auront esté commis par les Magistrats desdits lieux, pour les recevoir à l’avance du depart, & à peu prés de l’heure de l’arrivée.
Ne pourront telles personnes porter autres hardes que celles qu’ils auront de dessus, avec quelques chemises pour changer, lesquelles ils tiendront à l’air pendant leur quarantaine.
Leur sera enjoint sur peine de la vie, de declarer toutes les incommoditez qui pourront leur survenir pendant leur quarantaine, auquel cas ils seront visitez sur l’heure par les Medecins & Chirurgiens à ce preposez, hors les bastimens dans la distance requise : Si quelqu’un se trouvoit atteint, on en separeroit les autres, & l’on les mettroit en d’autres endroits du mesme terroir avec les precautions susdites : Si tel malade pouvoit estre transporté commodement & sans danger, pour les lieux du passage, dans les Infirmeries du lieu pesté, il y seroit conduit par les personnes qui y sont destinées à cet usage, que l’on feroit passer par le Blocus avec les precautions cy-dessus ordonnées : Et l’endroit où tel malade auroit esté, ou seroit mort, seroit marqué d’une Croix blanche, & fermé jusques à ce qu’il fust parfumé.
Les quarante jours achevez, les Medecins & Chirurgiens feront la visite des personnes mises en quarantaine ; comme aussi les hardes seront parfumées, apres quoy ils auront libre entrée par tout.
Il est à remarquer, que pendant les quarante jours l’on doit estre exempt de soupçon & de peste : Que si aucun accident arrivoit, il faut recommencer la quarantaine, laquelle ceux qui sont atteints font double, depuis le jour de leur guerison.
Tous les frais des quarantaines sont supportez par ceux qui les font, & qui les demandent.

Source : Le Troisiesme et quatriesme volume du Thresor des Histoires Admirables et Memorables de nostre temps, Recueillies de plusieurs Autheurs, Memoires & Avis de divers lieux. Par Simon Goulart Senlisien, Pour Samuel Crespin, 1614, p. 564-566.
Illustration : Plaque de la rue de la Quarantaine située dans le 5e arrondissement de Lyon, issue de l’article actu.fr

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